-— Le diable existe, certes, mais tant qu'il n'a pas réussi a rompre cette relation premiere, « ombilicale » entre le Créateur et sa créature, c'est comme s'il n‘existait pas. C’est une ombre et rien de plus. Alors pourquoi |'Ecriture en parle- t-elle ? Imaginezqu’elle nen dise pas un mot. Que se passerait-il ? J'en conclurais, comme les penseurs grecs, que le mal est simplement le fruit de mon ignorance, et que la connaissance me rendra meilleur. Je sous-estimerais la puissance du mal, je croirais pouvoir la vaincre par mes propres moyens. C'est pourquoi Paul met les points sur les «i» : Ce n'est pas a I'homme que nous sommes affrontés. Nous n'avons pas simple- ment a lutter contre «la chair et le sang» c’'est-a-dire contre notre faiblesse humaine. Il y a derriere le mal une Puissance terrible et diaboli- que, un Dominateur qui m’enchaine a mes propres péchés, un cercle vicieuxirrémédiable. Un Dragon, dira I’Apocalypse. Le personnage de Satan nous est présenté pour nous empécher de minimiser la faute et d'y voir simple- ment le fruit d'un « manque », d'une « faiblesse », d'une «lacune». Si le diable est vraiment le lion rugis- sant et le serpent dont nous parle I’'Ecriture, il n'y a plus de «pecca- dilles », mais seulement des péchés qui nous dévorent et nous tuent de leur venin | C'est comme si Dieu nous disait : « Attention | C'est du poison! » Ma propre convoitise représente un autre «instigateur ». C'est de loin le plus important, car sans lui personne ne succomberait. Chacun est tenté quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise®. Kierke- gaard parle a ce propos d'une « sym- pathie antipathisante» ou d'une « antipathie sympathisante 1°». On ne saurait trouver de meilleurs termes pour décrire |'ambiguité psychologique qui caractérise notre attitude par rapport a la tentation. Nous lui disons « non » sans vraiment fermer la porte, nous la rappelons si elle s’avise de s’en aller, mais nous reculons, effrayés, si elle vient trop pres. Nous adorons jouer avec le feu. Nous vivons notre tentation, et ce faisant nous la créons, nous lui donnons corps, nous la rendons puissante. En soulignant ma responsabilité dans la conception du péché, I'Ecri- ture me dit : «Ne te justifie pas en imputant a autrui la cause de la tentation que tu subis. Son origine est en toi. Tu es seul coupable quand tu y cedes. » David |'a bien reconnu. Il ne s'est pas écrié : « Satan m’'apossédé | »ll a humblement reconnu : «J’ai com- mis un grand péché. J'ai complete- ment agi en insensé. » Il faut méme aller plus loin. Il ne s’'agit pas que de nous, mais de ceux qui nous entourent. «Chacun de nous est assurément coupable ici- bas de tout envers tous» écrit Dostoievski. Qu’est-ce a dire ? Si nos proches s’‘emportent violemment, non pas forcément contre nous, mais contre qui que ce soit, n‘est-ce pas dans une certaine mesure parce qu’ils sont malheureux ? N'aurions- nous pas pu contribuer a les rendre plus heureux en leur accordant l'amour dont ils avaient besoin ? Et cela ne se limite pas a la colere : si l'autre ment, s'il se drogue, s'il a des réactions égoistes ou s'il se décou- rage, n‘aurions-nous pas pu lui éviter cette chute en le « transfigurant » par notre amour ? L. Evely le souligne avec force : « Si j’étais meilleur, les autres seraient moins mauvais. ... Seuls ceux qui se reconnaissent responsables des autres sont qualifiés pour les chan- ger. Je crois cela tres profondément. Tout dépend de vous, malgré les apparences 1, » Pour surmonter la tentation, ily a une seule voie et pas deux. Elle nous est indiquée par |'apotre Paul dans le verset qui figure en téte de cet article : Armez-vous de force dans le Seigneur, de sa force toute- puissante. (C'est nous qui souli- gnons.) Puis il nous invite a revétir I'armure de Dieu. Dans un autre passage, Paul précise de quoi il s'agit . Revétons les armes de Ja lumiére. ... Revétez-vous du Sei- gneur Jésus-Christ 12 Il n'y a pas d'autre solution. Le diable cherche uniquement a nous «déconnecter » du Christ. Pour lui résister, il faut cultiver notre relation de foi. Cela signifie pratiquement que la victoire s'obtient avant la crise. Quand la tentation est 13, il est trop tard pour prier si on ne l'a pas fait auparavant ; il est trop tard pour lire un verset ou chanter des cantiques. ll s'agit la de simples « manceuvres » pour se sortir du faux pas; méme si l'on y parvient, la victoire est exteé- rieure. | Reprenons |'exemple du Christ. Ce qui lui a permis de remporter la victoire sur le Malin, ce n'est pas d'avoir été capable de citer des versets bibliques! C'est bien plut6t d'avoir entretenu le rapport voulu avec son Pere. ll a été conduit par I’'Esprit dans le désert... La victoire est compléte et décisive tant que nous dépendons unique- ment du Seigneur. C'est ce que souligne Bonhoeffer avec beaucoup d’'a-propos : « Pratiquement la tache du chrétien consistera donc a voir dans toutes les tentations qui |'as- saillent les tentations de Jésus- Christ se prolongeant en lui, et il trouvera le secours.... Face a la seule réalité du plaisir et de Satan, il n’existe qu'une réalité qui soit plus forte : la figure et la présence du Crucifié 13. » Remporter la victoire sur Satan, cela revient arecevoir celle qui adéja été remportée pour nous par Jésus- Christ. Vous avez tout pleinement en lui 4, Yvan Bourquin . Ephésiens 6 : 10-12 (traduction cecuménique) . Voir en particulier Esaie 14 et Ezéchiel 28 . 2 Samuel 24 : 1 . 1 Chroniques 21:1, 8 . Jacques 1:13 . Genése 22 : 1 . 2 Chroniques 32 : 31 . Jean 8 : 44 . Jacques 1 : 14 . Le conceptde I'angoisse, Gallimard, Paris, 1935, p. 62 . Amour et mariage, p. 94 . Romains 13:12, 14 . D. Bonhoeffer, Tentation, Labor et Fides, Ge- neve, 1968, p. 27, 41 . Colossiens 2 : 10 ET QOWoOONOOA,WN= dd WN = -— oH 15