LES SIGNES DES TEMPS 4% L'araignée au plafond E soir-la, aprés une journée ou pe- 4 tites et grandes contrariétés se sont ceumulées a envi, je me donnais a moi-méme cet encouragement : «En- tore une heure de patience, cette be- fone fastidieuse terminée, je regagne- ma chambre, je ferai vite, et enfin lit je pourrai en toute tranquillité mmencer la lecture de ce volume ré- _¢temment paru, alors ce sera le bon moment. » ‘Me voila donc installée, bonne lu- ere, silence relatif autour de moi, il est bientét minuit, je commence a lire. ‘Je ne me rends pas compte du Un sentiment bizarre, temps qui passe. . une inquiétude m’zgite. Je suis bientét forcée de m’inter- .rompre. Je ferme les yeux. Quel est done Pinstinct merveilleux qui m’o- ‘blige a les ouvrir aussitéot ? Un fris- 1 d’horreur me secoue tout entiére ! dessus de moi, suspendue sur son invisible, une énorme araignée ve- e descend rapidement du plafond. Il de quoi attraper une jaunisse !.. e fais un effort immense, je suis de- bout, 'affreuse huit pattes est sous un ge, je respire. Jai toujours eu les araignées en hor- ur et je me souviendrai toute ma vie un incident presque semblable, ou mte petite, je faillis sauter par la fe- ftre de ma chambre, n’ayant pas le rage d’aller jusqu’a la porte ol un 8 faucheux était tapi. A cause de cela je fus bien malade ‘pendant plusieurs jours et mon pére, alarmé de me voir aussi impres- pionnable, m’a conté une belle histoire bsolument véridique. Il voulait me miliariser avec I'idée que cette bes- ole a aspect répugnant n’avait rien terrible, et par la méme occasion il rait me faire comprendre que ce qui ous parait affreux et méprisable peut bvenir un jour par la volonté de Dieu ginstrument de not:e salut. Cela se passait au moment d’une roce répression qui suivit la derniére surrection dans notre pays. Plusieurs ¥illes et villages furent pillés et incen- diés, les habitants furent ou tués ou déportés dans des contrées lointaines au climat meurtrier. On ne saurait comprendre par quel miracle une jeune femme et ses deux enfants, une petite fille de sept ans et un garconnet de quatre ans, échappérent a ce sort cruel. lls s’étaient réfugiés dans une cave oi, pendant deux jours et deux nuits, ils tremblérent de peur et de froid. Le troisiéme jour, voyant ses en- fants mourir d’inanition, la. jeune ma- * man prit le parti désespéré de quitter ce refuge et d’aller a la recherche de quelque nourriture. Mais les enfants épouvantés de la voir partir s’accro- chaient en gémissant & ses vétements, elle résolut donc de les prendre avec elle et, 4 la tombée de la nuit, tous trois sortirent en retenant leur souffle. La jeune femme suivie de sa fillette portait le petit garcon dans ses bras et risquait 4 chaque pas de trébucher contre un obstacle ou de tomber avec son cher fardeau dans un trou. D’au- tre part, elle ne savait pas si elle n’al- lait point au devant d’une ronde, car, au loin, résonnait le bruit de pas et d’appels. Finalement elle sentit ses forces l’abandonner, elle tomba a ge- noux. Pria-t-elle, on ne sait... Au bout d’un instant elle reprit sa marche et se trouva a un tournant de rue. Le temps était a lorage et on ne voyait pas clair. Une odeur d’incendie rendait lair irrespirable. Un éclair zébra le ciel. Les enfants épouvantés entravaient sa marche. Soudain, un fracas tout prés d’elle, un pan de mur s’écroulait. Impossible d’aller plus loin. Encore un éclair ful- gurant, elle eut le temps de voir une grande porte entr’ouverte, ils s’élan- cérent tous trois et derriére eux la lourde porte tomba avec un bruit sourd. Au méme moment éclatait I’o- rage. , Ou suis-je, se demandait la pauvre femme. J'ai soif, gémissait le petit garcon. J'ai si faim, soupirait la fillette, Il me faut sauver les enfants, se disait la jeune femme sans penser a elle, ne sentant plus ni la soif, ni la faim qui la tenaillaient. Bravement, a se reconnaitre. titons, elle chercha a Elle descendit deux AS Fu 1. marches et, longeant le mur, elle buta contre des tonneaux. Plus loin, une longue table encombrée d’'ustensiles de cuisine, temait tout un mur. Mais ce n’est pas une cave, c’est peut-étre un cellier, se dit-elle en avancant avec len- teur, on a ’habitude d’y mettre au frais des provisions. Sa main touche a des grands paniers vides, 4 ces paniers & couvercles que I'on porte au marché, ou les eufs frais voisinent avec le beurre et la créme. Elle avance encore. Un léger bruit at- tire son attention. Cela venait du fond, un petit clapotement, on dirait un chat qui boit. Deux yeux brillent dans l'obscurité, elle se dirige vers ce coin, une autre table s’y trouve, et des- sus, deux jattes pleines de lait et un autre panier bien fermé et trés lourd qui contient des ceufs, de la créme et une grosse miche de pain. Maintenant rassasiés, assurés d’avoir de quoi manger pour plusieurs jours, blottis l'un contre l'autre, les enfants étaient assoupis. La pluie avait cessé de tomber. La pauvre maman ne dormait pas, elle songeait avec angoisse qu’elle risquait d’étre découverte dés le lever du jour ; il lui semblait entendre des bruits mys- térieux, comme un léger froissement de papier. Au dehors le vent faisait rage, une cheminée s’écroula et une rafale de pierres s’abattit contre la porte. A force de préter Poreille, infi- niment lasse, vaincue par tant d’émo- tion, elle s’endormit a son tour. Il faisait jour quand elle s’éveilla. Un bruit de pas qui s’approchait la remplit de terreur. C’était bien la ronde tant redoutée qui passait tout prés. «Qu’est-ce que c'est que cette porte ? cria soudain une voix impé- rieuse. Est-on rentré li-dedans, il s'y cache peut-étre des insurgés.» Un éclat de rire lui répondit. — Idiot, regarde donc de plus pres, je parie tout ce que tu voudras qu'il y a bien un an que cette porte est fermée. Te rends-tu compte que ces toiles d'a- raignées intactes qui tapissent les coins sont pleines de poussiére. Elles sont la depuis bien longtemps, comment veux-tu que quelqu’un y soit entré sans déran- ger tout cela. — Y a-t-il une autre entrée ? de- manda encore quelqu’un ? — Mais non, le mur s'est écroulé aprés lincendie d’hier, allons, finis- sons-en, allons plus loin. Derriére la porte la petite famille était immobile et écoutait le bruit re- doutable des pas qui s’éloignait de plus en plus. Ils étaient sauvés. Que s’était-il passé ? Les araignées pourchassées par Dincendie, par les éboulements, s’étaient réfugiées elles aussi dans ce coin. Poussées par la faim, travailleuses infatigables, elles ont vite tissé les toiles. Quant a la poussiére elle venait de la cheminée qui s’était écroulée contre la porte. Evi- demment tout peut s’expliquer, mais pour nous qui avons la certitude que Dieu veille sur ses enfants, nous sa- vons qu’il dispose de mille moyens pour nous sauver si telle est sa volonté. f ELIXE. ETF AER