Une page d'Aloys Berthoud (;ARDONS-NOUS de confondre le christianisme avec la reli- gion d’Israél. Celle-ci n’avait que « ombre des biens a venir ». Tout en proclamant le vrai Dieu, elle ne pouvait rétablir pleinement la communion des hommes avec lui, parce quelle ne les mettait pas en contact avec «IPAgneau de Dieu qui ote le péché du monde» ; elle leur annoncait le salut comme un événement fulur, elle leur mon- trait le Messie dans un lointain vaporeux, sous des images prophé- tiques parfois saisissantes pour nourrir leur foi et alimenter leur espérance, mais incapables de leur procurer une fois pour toutes la guérison et la paix. «Le sang des boucs n’efface pas les crimes.» C’était toujours a recommencer. Aussi, quelle distance de David a saint Paul, des prophétes de I'An- cien Testament aux apdétres du Nouveau! Pour ces derniers, la rédemption est un fait accompli; toute la différence est la. Ce n'est plus I’homme cherchant Dieu en tatonnant, comme chez les paiens, ni méme Dieu éduquant ’homme, comme en Israél: c'est «notre Pére» attirant a lui ses enfants coupables et les sauvant par l'é- treinte de sa charité. Quelle que soit la vraie formule de lexpiation, — qu'on ne trou- vera peut-élre jamais ici-bas, — une chose est hors de doute, c’est que tout le nerf de I’Evangile est concentré dans cette doctrine ou plutdt dans ce fait : « Je n’ai voulu savoir autre chose, disait saint Paul, que Jésus-Christ et Jésus- Christ crucifié.» Et il parlait d’ex- périence quand il ajoutait: «La prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent; mais pour nous qui obtenons le salut, elle est une puissance de Dieu.» (1 Corinthiens 1: 18.) Ah! si cette prétendue folie est d’in- vention humaine, il faut avouer que son auteur connaissait a fond le ceeur de ses semblables! C’est la croix qui fait les chrétiens. Sans elle, comment I’honnéte homme pourrait-il croire a son péché ? C’est elle qui réveille la conscience, qui met a nu le mal, en inspire 'horreur, le juge ect lc fiétrit ; elle qui fait couler les larmes de la repentance, elle qui tue le péché. Et sans elle encore, comment le pécheur pourrait-il croire 4 son pardon? Les plus belles paroles de Jésus affirmant Pamour de Dieu me laissent froid ou me troublent davantage, car d’oit vient que jéprouve de I'éloi- gnement pour Dieu si elles sont vraies ? II y a donc un abime qui me sépare du Christ: elles sont naturelles dans sa bouche pure =t sainte, mais elles ne sont pas faites pour moi... Vous voulez consoler mon ame ? Commencez par apai- ser ma conscience. Eh bien, voila le triomphe de la croix, triumphus crucis, comme disait Savonarole. Tant que le fardeau des transgressions pese sur une ame, elle est en proie au remords. On ne peut fuer ce ver rongeur quen tuant le péché qui Palimente. Or, elles se comptent par milliers, les créatures déchues qui ont trouvé au Calvaire la déli- vrance et le relévement. Chose merveilleuse’! en face de 'Homme- Dieu mourant pour les injustes, incorruptible voix intérieure con- sent a taire ses reproches, et la conscience s’incline, apaisée ct satisfaite. Qu'est-ce a dire? A- t-elle perdu tout a coup son ¢éner- gie et sa lucidité ? Loin de la! Si Iinsouciance mondaine a pour ef- fet de ’enténébrer et de I’assoupir, la paix que donne I’Evangile a justement I'effet contraire. Quand I’ame ressemblait 4 une mer «n tourmente, on ne prenait pas garde aux détails, ils, étaient per- dus dans la masse, confondus dans le péle-méle : un peu plus ou un peu moins de péchés n’étail pas une affaire ! Mais maintenant que la paix y régne, on dirait un lac tranquille, uni ce! transparent comme un miroir ; le moindre ob- jet flottant a la surface y apparait en relief, l¢ moindre pli y fait tache : la conscience a les yeux ouverts. Seulement, elle tourne ses regards du passé vers lave- nir ; elle abandonne a la grace de Dieu tout ce qui est antérieur, mais pour devenir d’autant plus délicate, plus vigilante, plus atlen- tive désormais : preuve que l'ame est réintégrée dans son état nor- mal. La prédication de la croix est le principal lJevier de UPuvre de Dieu en ce monde. Clest a elle, en premiere ligne, que le christia- nisine doit la puissance d’attrac- tion qu'il exerce sur les pécheurs altérés de justice; rien ne remue davantage les cceurs, parce que dans le drame de Golgotha la sain- teté de Dieu et son amour infini éclatent de concert et se péne- trent dans une suave harmonie. Le besoin d’expiation qui tourmente’ ame humaine y trouve sa légi- time satisfaction ; elle voit ses pé- chés dament effacés, blanchis comme neige, et elle peut sans scrupule s’approprier un tel salut, chef-d’ceuvre de la puissance ect .de la sagessc de Dieu, dont elle mesure la charité a la grandeur du sacrifice de la croix... Le Tils de I'homme, représen- tant autenthique de I'humanité, a consenti 4 mourir pour nous sur le bois infame : dés lors, plus d’hésitations, plus de doutes et aussi plus d’cxcuses! Devant ce mystére incffable que les anges du ciel essaicnt en vain de sonder jusqu’au fond, le pécheur, celui du moins qui s’avoue tel, n’y tient plus, ne résiste plus : attiré et tout ensemble humili¢ par une force divine, il ne peut que se prosterner et demander grace... Bientot il reléve la téte, il rencontre le re- gard de Jésus plein de compassion et d’amour, il lit dans ce regard le pardon de ses péchés, sa paix est faite avec Dieu, un sentiment loul nouveau de joie el d’abandon filial emplil son ame, el désormais il lui sera facile, il lui sera doux d’aimer de tout son cceur le Dieu qui Paima le premier. l.e christianisme a résolu l'an- goissant probléme devant leque] ont échoué toutes les autres reli- gions; il a dénoué le nceud gordien. ALoYs BERTHOUD.