3 Editorial Jean Lavanchy 4 Les trois tentations de Jésus Jean Flori 10 Voyage dans la nuit Yvan Bourquin 12 L'influence remarquable de la Bible Charles Gross 16 La Foi : le boiteux John Graz 18 Le bon Larron Norbert Hugedé 22 Les femmes dans la Bible Françoise Juret 25 Camus et la loi Lorraine Holmshaw 27 Saint Paul le missionnaire Paul Tièche 30 Le levain dans la pâte Jean-Pierre Bargibant 32 Etre Adventiste... Interview de Philippe Augendre 35 Science et Foi Agenor de Gasparin Un livre éternellement vivant page 12 Révolutionnaire au nom de Dieu page 27 L'Adventisme : une attente active page 32 AGENCES: Revue bimestrielle fondée en 1876 MAI-JUIN 1975 sdt REDACTION ET ADMINISTRATION : 60, avenue Emile-Zola 77190 Dammarie les Lys, France Tél. (1) 439 38 26 C.C.P. 425-28 Paris Rédacteur responsable : Jean LAVANCHY Réalisation : Jean BREUIL Europe BELGIQUE, 11, rue Ernest Allard, 1000 Bruxelles FRANCE, «Le Soc», 208, avenue Anatole-France, 77190 Dammarie les Lys SUISSE, 8, avenue de l'Eglise-Anglaise, 1006 Lausanne Autres continents ALGÉRIE, 3, rue du Sacré-Cœur, Alger BURUNDI, Boîte Postale 1710, Bujumbura CAMBODGE, Boîte Postale 376, Phnom- Penh CAMEROUN, Boîte Postale 401, Yaoundé CANADA, 79, rue St Charles Est, Longueuil, P.Q. 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Copyright by Editions et Imprimerie S.D.T. Directeur: A. GARSIN. Dépôt légal 1975, n° 424 UNE ««SCIENCE MORALE Pour expliquer le malaise pesant qui s'abat aujourd'hui sur tous les continents, les sociologues affirment que notre civilisation est en pleine crise de transition. La génération présente rejette les valeurs du passé, sans avoir la capacité de définir les normes économiques, politiques et sociales du monde à venir. Le nombre croissant d'idéologies «salvatrices» accentue l'angoisse du choix et paralyse les imaginations. Malgré leur objectivité technique et une absence totale de sentimentalisme, les ordinateurs ne proposent que des schémas contradictoires. Isolé dans le cyclone concurrentiel des idées, le cerveau de l'homme est happé, tiraillé, écartelé par les séductions de solutions fragmentaires, utopiques ou faussement révolutionnaires. Le vocabulaire, véhicule de la communication, semble touché par le phénomène de dévaluation. Les mêmes mots ne signifient pas forcément les mêmes choses. Les conférences internationales, les pourparlers, les négociations nous offrent le triste spectacle de la confusion et de la stérilité. De part et d'autre des tables de débat, une même guerre sera libératrice ou impérialiste, un même coup d'Etat : révolutionnaire ou réactionnaire, les partisans seront des héros ou des bandits. A l'échelle individuelle, le dialogue devient impossible. Parler au nom de la morale est suspect, rétrograde, périmé. Dire la même chose au nom des aspirations sociales, de l'évolution psychologique, devient vérité fondamentale. La Bible, lorsqu'elle nous propose d'aimer notre prochain, est taxée de valeur mythique, de tabou contraignant. Qu'une idéologie matérialiste emploie les termes d'égalité, d'unité, d'antiracisme, elle devient progressiste. Au nom du rationalisme, l'athéisme confond christianisme et autorité religieuse temporelle dont l'histoire révèle de douloureuses contradictions aux principes évangéliques. La morale biblique est ressentie comme un autoritarisme arbitraire et culpabilisant. Et pourtant... Le Docteur Olievenstein, spécialiste du traitement des jeunes drogués affirme : «Je suis mal physiquement et psychiquement. Je veux témoigner de mon malaise. Plus je vais, moins je comprends. Mon angoisse est sincère et profonde. Je me sens dépositaire de quelque chose qu'il faut faire passer d'urgence, car la société va devenir folle. Si l'on jugulait le problème de la drogue, il ne ferait que se déplacer.» Pour ce médecin, la transformation morale du malade, de son entourage, doit précéder la guérison physique. Georg Picht, dans son dernier livre « Réflexions au bord du gouffre», écrit : « L'humanité ne pourra conquérir son avenir que par une performance spirituelle et morale dont il n'y a pas encore d'exemple dans l'histoire. Les fondations du nouveau monde reposeront sur les éléments les plus simples et les plus nobles de notre spiritualité.» Pour Aurelio Peccei, membre fondateur du Club de Rome, le pessimisme irréversible du deuxième rapport, édité sous le titre « Stratégie pour demain», le pousse à conclure également qu'une transformation morale de l'humanité peut seule lui permettre d'envisager une solution. Pourquoi faut-il que seuls, les hommes projetés au cœur du drame de l'humanité soient capables de ressentir, peut-être inconsciemment, le ton, les termes et les conclusions des prophéties bibliques ? Jean LAVANCHY 3 Mathieu 4 :1 -11 «Alors Jésus fut emmené par l'Esprit dans le désert, pour être tenté par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur, s'étant approché, lui dit : „Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains". Jésus répondit : „ll est écrit : L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu". » Le diable le transporta dans la ville sainte, le plaça sur le haut du temple, et lui dit : Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas; car il est écrit : » Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet ; Et ils te porteront sur les mains, De peur que ton pied ne heurte contre une pierre. » Jésus lui dit : Il est aussi écrit : Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu. » Le diable le transporta encore sur une montagne très élevée, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire, et lui dit : Je te donnerai toutes ces choses, si tu te prosternes et m'adores. Jésus lui dit : Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul. » Alors le diable le laissa. Et voici, des anges vinrent auprès de Jésus, et le servaient. » apparaît dès la première lecture, nous laisse insatisfaits. Pour juste qu'il soit, ce sens ne saurait épuiser la richesse de ce texte. Pour tenter d'apercevoir cette richesse, efforçons-nous de replacer le récit dans son contexte historique et littéraire. 1. Le contexte historique (1 ) Nous sommes aux alentours de l'an 27, en Judée. Depuis de longues années le pays est occupé par les soldats romains. Près de 80 ans auparavant le peuple juif, divisé entre deux grands partis rivaux, a cru bien faire en appelant le général romain Pompée pour arbitrer leur querelle. Comme le chat de la fable, Pompée «mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre». Depuis lors, le pays est administré, directement ou indirectement, par les Romains. Par habileté politique, ceux-ci ont le plus souvent préféré laisser aux habitants une apparence de liberté et d'autonomie : c'est ainsi qu'existe toujours le Sanhédrin, une assemblée politico-religieuse dont le rôle était autrefois très important mais qui n'a plus, maintenant, qu'un très faible pouvoir : celui de juger des délits concernant la loi religieuse juive. Encore ne peut-il pas prononcer de peine capitale effective, celle-ci relevant de l'autorité romaine (2). Mais les Juifs sont jaloux de ces quelques privilèges, auxquels ils s'accrochent ; ils en 1. Une bonne évocation de ce contexte historique se trouve dans l'introduction à la Bible de A. ROBERT et A. FEUILLET, Paris, 1959, T. Il, p. 8-97. 2. Voir sur ce point J. BLINZLER, Le procès de Jésus, Paris, 1962 et J. ISORNI, Le vrai procès de Jésus, Paris, 1967. LES TROIS Ce récit grâce à son extrême concision atteint une intensité dramatique tout à fait remarquable. Il nous apparaît comme l'un des plus beaux de l'Evangile. L'un des plus importants, sans aucun doute, car il traduit avec une austère âpreté le terrible combat que Jésus, notre Sauveur, eût à livrer aux forces du mal. C'est aussi, il faut bien le reconnaître, un passage difficile à interpréter, car le sens le plus limpide, celui qui nous revendiquent d'autres, espérant recouvrer leur indépendance passée. Convaincus que Dieu est avec eux et que l'occupation romaine ne saurait être que passagère, ils intriguent sans cesse, fomentant des révoltes, faisant de la Judée une province réputée ingouvernable (3). Périodiquement, des chefs zélotes rassemblent autour d'eux des partisans pour attaquer les Romains, susciter des troubles, secouer le joug. La foule, 3. On envoyait souvent en Judée les administrateurs dis-grâciés. 4 4. La fermentation des esprits et les espérances messianiques de l'époque apparaissent clairement chez l'historien juif FLAVIUS JOSEPHE, ainsi que dans les nombreux écrits apocalyptiques et nationalistes de l'époque précédant l'ère chrétienne. 5. Matthieu 3 :13,14. le plus souvent, est prête à les suivre pour peu que se manifestent quelques marques de l'approbation divine. A l'époque où se situe notre texte, la foule est tendue, particulièrement excitée (4). Elle attend plus que jamais un Messie qui saurait par la force de Dieu abattre le géant romain comme jadis David abattit Goliath. Elle attend un chef de guerre, un nouveau Josué, capable de reconquérir la Terre sainte, de la purifier de l'occupation païenne qui la souille depuis trop longtemps. Elle espère un roi qui rétablirait la justice et rendrait au peuple d'Israël sa place de «conducteur des nations». Les traditions religieuses, nombreuses à cette époque, montrent ce messie, environné d'anges qui le porteraient sur leurs mains, le faisant apparaître, auréolé de gloire, au pinacle du Temple par lequel il commencerait son œuvre de purification et de libération du territoire sacré. Avec Dieu, il ferait des miracles. Qu'un tel messie se présente, confirmé par la protection divine, et la foule entière, fanatisée par la religion, le suivrait dans son combat contre l'oppresseur. 2. Le contexte littéraire Jésus connaît les espérances de la foule, au moment où il décide de se lancer dans la vie publique. Jusqu'alors il a vécu humblement une vie simple et sainte, probablement comme ouvrier charpentier à Nazareth. Mais l'appel de Jean-Baptiste a été pour lui un signe : il décide de vouer désormais sa vie au service de Dieu. Il décide de commencer son ministère de réconciliation, d'être le Sauveur des hommes selon la volonté de Dieu qui l'a fait naître pour cela. Il se fait baptiser par Jean. Non pas, certes, qu'il eût besoin de repentance ! Jean lui-même avait reconnu en lui l'Homme sans péché, soulignant par son refus la sainteté de Jésus : C'est moi qui ai besoin d'être baptisé par toi, et tu viens à moi ! lui dit-il (5). Mais Jésus insiste et Jean s'exécute. Pour Jésus, ce baptême marque une étape décisive de son existence : il manifeste sa volonté de vouer désormais sa vie à Dieu seul. Il tourne délibérément le dos à sa vie «privée» pour ne plus penser qu'à sa mission «publique». Mais comment mener à bien cette mission ? Comment ramener les hommes à Dieu sans compromis d'aucune sorte avec le mal ? Comment déjouer toutes les ruses malignes qui tenteront de le faire tomber dans quelque piège subtil ? On comprend que, face à une mission d'une telle ampleur, Jésus ait -comme Moïse jadis, comme Paul après lui - besoin de méditer, de se retrouver seul au «désert», pour réfléchir sur les moyens à mettre en œuvre pour accomplir sa mission (6). C'est là, au désert, que notre texte situe les trois tentations du Christ que nous allons analyser. Il ne faut d'ailleurs pas se représenter un désert d'une aridité totale, loin de toute région habitée ! Dès que l'on franchissait le Jourdain vers l'est, ou même que l'on quittait ses bords pour marcher vers le sud en restant sur la rive occidentale, on parvenait très vite en moins de 4 ou 5 kilomètres dans une région inhabitée propice à la méditation solitaire. 3. La première tentation : « les pains» Jésus jeûne. Non pas pour s'affaiblir, rendre le combat plus poignant, comme le voulait une ancienne tradition quelque peu sadique, mais pour être disponible à la méditation, à l'intense recherche intérieure qui l'absorbe tout entier. Que Jésus ait faim n'a rien de surprenant. Satisfaire ce besoin n'avait rien d'illégitime. La tentation des pains nous paraît beaucoup plus subtile qu'elle ne le semble au premier abord. Elle insinue un doute (7). Jésus se savait, certes, appelé à une mission. Il se «savait» le fils de Dieu : une voix céleste le lui avait d'ailleurs confirmé lors de son baptême, peu de temps auparavant (Matt. 3 : 17). Mais ici, dans ce désert, dans la méditation et le jeûne, la face des choses se trouve bien changée. N'a-t-il pas surestimé sa mission ? N'est-il pas victime d'une illusion sur lui-même ? Ne serait-il 6. Sur l'intention de Jésus en allant au désert, voir E. G. WH ITE, Jésus- Christ, Dammarie - les - lys, 1948, p. 52; C.E.B. CRANFIELD, The Gospel according to Saint Mark, Cambridge, 3e éd. 1966, p. 57. 7. E. G. WHITE, op. cit., p. 56. 5 8. Cf P. BONNARD, l'Evangile selon St Matthieu, Neuchâtel, 2e éd. 1970, p. 44. 9. Nul doute que Jésus ait pensé, pendant ces 40 jours de «retraite au désert» avant d'entrer dans la carrière sainte, à l'expérience similaire du peuple hébreu pendant 40 ans dans le désert avant d'entrer dans la terre promise. Cf E. BEST, The Temptation and the Passion : the Mar-kan Soteriology, Cambridge, 1965, p. 6. La citation qu'il oppose à Satan en fait foi. 10. Cf. E. G. WHITE, op. cit., p. 58. 11. Cf. par exemple A. LOISY, l'Evangile selon St Luc, Paris, 1924, p. 149, après WEISS, BOUSSET et d'autres. 12. Cet aspect a été bien souligné par A. DURAND, l'Evangile selon St Matthieu, Verbum Salutis, 17e éd., Paris 1939, p. 42 et par J. HUBY, l'Evangile selon Saint Luc, Verbum salutis, 13e éd., Paris, 1930, p. 70. Voir aussi G. GANDER, l'Evangile de /'Eglise, Aix en P. p. 14. 13. Cf. P. BONNARD, op. cit., p. 44. pas bon d'obtenir une «preuve» concrète de cette approbation divine ? Peut-il réellement, lui, disposer de la puissance divine ? Pourquoi ne pas s'en assurer par un miracle ? C'est la tentation du miracle substitué à la foi, de la preuve substituée à la confiance. C'est aussi la tentation de l'indépendance ! La même qu'en Eden lorsque Eve croqua le fruit défendu, manifestant ainsi sa volonté d'autonomie à l'égard de Dieu. Faire des pains avec des pierres, ce n'était pas impossible à Jésus qui multiplia les pains, transforma l'eau en vin et ressuscita Lazare, mort depuis plusieurs jours ! Mais ce faisant, Jésus aurait utilisé pour lui-même une puissance divine qu'il ne voulait exercer que pour autrui (7). Lui-même se voulait totalement homme, serviteur parmi les hommes, et c'est pourquoi il rejette cette idée : il sera dépendant de Dieu et soumis à sa volonté (8). Si Dieu veut faire pour lui un miracle, que cela vienne d'En Haut, et non d'en bas. Et Jésus pense aussitôt qu'autrefois le peuple de Dieu, lui aussi dans le désert, eut faim et fut démuni de tout pendant 40 ans (9). Totalement dépendant de Dieu, il fut pourtant nourri par lui : la manne, en effet, lui fut alors envoyée pour apaiser sa faim. Cet épisode, cet exemple lui sert de modèle et de réfutation (10). L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. On croit parfois que par cette parole Jésus oppose la nourriture spirituelle à la nourriture matérielle (11). Il n'en est rien ici, comme l'indique la référence à la manne, le «pain du ciel» qui, pour venir de Dieu, n'en était pas moins une nourriture du corps, matérielle. Jésus dans le désert, prend conscience de la mission qu'il devra remplir : une vie de service et d'obéissance. Comme les Hébreux dans le désert, il devra tout attendre de la «Parole» divine, de l'ordre de Dieu, du secours d'En Haut (12). Il n'aura pas un lieu où reposer sa tête. Il ne pourra en rien compter sur ses propres richesses, sur son propre pouvoir. TOUT devra lui venir de Dieu, et ce secours divin ne lui viendra précisément qu'à la condition d'une totale soumission. De même que Dieu n'a pas abandonné son peuple démuni, de même il ne l'abandonnera pas, lui, son Fils, s'il veut se confier totalement en Dieu (13), mais il faut pour cela s'abandonner totalement, abdiquer toute autonomie, renoncer à «faire soi-même» des pains ou toute autre chose et tout attendre de la volonté divine (14). Jésus repousse la tentation de l'indépendance au contraire d'Adam, qui avait voulu, lui homme, être un «dieu» autonome, il veut, lui Dieu, n'être qu'un homme dépendant (15). 4. La seconde tentation : le succès par la religion Jésus l'a décidé : dans son ministère, il refusera toujours de faire un miracle pour lui-même. Mais, pour ramener les hommes à Dieu, ne pourrait-il pas demander un miracle au Père ? N'y a-t-il pas dans le passé d'Israël des hommes de Dieu qui ont sollicité, exigé même de lui un miracle... et qui l'ont obtenu ? Ne serait-il pas utile à sa mission d'attirer autour de lui tous ces hommes pieux qui attendent avec fièvre la venue du Messie ? Or, ce Messie qu'ils espèrent, c'est lui, Jésus ! Il suffirait pour les gagner à sa cause de leur apparaître, comme ils s'y attendent, en une vision glorieuse au sommet du Temple, porté par les anges comme l'annonce l'Ecriture (16). Alors partout, dans les villes et les villages de toute la Judée, de toute la Palestine, se répandrait la bonne nouvelle attendue par tous les hommes de bonne volonté : «Il est venu, nous l'avons vu, c'est bien le Messie de gloire que nous attendons ! » Il est normal que Jésus ait envisagé cette possibilité en méditant sur les voies à suivre pour accomplir sa mission. Et la tentation dut être forte ! Pourquoi est-ce bien une tentation et pourquoi Jésus rejette-t-il cette voie ? Pour deux raisons. La première se rapproche de celle que nous avons soulignée précédem- 14. A. SCHLATTER, Der Evangelist Mat-thaus, 6e éd., Stuttgart, 1948, p. 104. 15. Sur la tentation de l'autonomie, cf. H. ROUX, l'Evangile du royaume, 2e éd., Genève, 1956, p. 39. 16. Aspect bien vu par A. DURAND, op. cit., p. 43. 6 17. Cf. A.R.C. LEA-NEY, A Commentary on the Gospel acCorel ing to St Luke, London, 1948, p. 115. 18. Cf. E.G. WHITE, op. cit., p. 61. 19. Voir Jean 2 : 4. ment. En se jetant du haut du Temple, Jésus n'aurait certes pas fait un miracle, mais il aurait en quelque sorte «forcé la main» de Dieu. Il l'aurait» mis au pied du mur» et par là même, comme dit la Bible, «tenté Dieu» (17). Or Jésus se veut dépendant et docile. Il décide donc de s'abstenir, dans son ministère à venir, de toute action qui puisse être considérée comme une incitation pressante à l'intervention divine (18). Cette décision explique probablement la gêne mêlée d'irritation qui transparaît dans le récit des noces de Cana : Jésus, sollicité par sa mère, d'accomplir un miracle, lui répond d'une manière qui nous paraît assez discourtoise, mais qui traduit la crainte qu'il eut sans doute de retrouver là, sous une autre forme, la deuxième tentation du désert (19). On retrouve cette tentative, exprimée par Pierre cette fois, dans le chapitre 16 du même évangile. Alors que Jésus annonce sa mort prochaine et sa résurrection, Pierre le prend à part et, tout rempli de rêves de grandeur, et convaincu que Jésus, le Messie, ne peut être qu'un Messie glorieux, il s'écrie : A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne t'arrivera pas ! Mais Jésus, se retournant, dit à Pierre : Arrière de moi, Satan ! Tu m'es en scandale, car tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais celles des hommes (21). Jésus pour sa part, a fort bien reconnu là une tentation satanique comparable à celle qu'il avait par avance déjouée dans le désert. C'est pourtant bien Pierre qui parlait ! 5. La troisième tentation 21. Matthieu 16 : 22, 23. 20. En d'autres termes, Satan suggère à Jésus de parvenir au royaume sans passer par la croix. Cf. H. ROUX, op. cit., p. 41. La seconde raison de son refus de s'engager dans cette voie, réside dans son ambiguïté. Le peuple attendait un messie glorieux et libérateur, et l'apparition fulgurante de Jésus au sommet du Temple n'aurait fait que confirmer cette interprétation. Or, Jésus le sait bien, le Messie qu'il est ne sera pas glorieux. Sa vie sera un ministère, un service, et non une promenade triomphale (20). L'aspect glorieux et triomphal sera réservé à sa seconde venue, dans son rôle de juge, à la fin des temps, lorsqu'il apparaîtra, pour rendre à chacun selon ses œuvres. Mais pour l'heure, il ne s'agit pas de cela et ce serait entretenir l'ambiguïté que d'apparaître ainsi au sommet du Temple. Le peuple juif, déjà trop enclin à ne voir que l'aspect glorieux du Messie et à négliger son aspect de serviteur et de rédempteur trouverait en cette apparition un aliment de plus pour nourrir sa croyance erronée. C'est pourquoi Jésus écarte cette voie : il y reconnaît une tentation satanique, la même qui, en Eden, fit chuter le couple primitif : la tentation de la facilité, l'aspiration à la gloire, au succès, même pour accomplir une mission divine. Jésus se veut dépendant et dépouillé : il fera appel aux forces nobles de l'homme pour le ramener à Dieu, et non à son intérêt ou à son désir de gloire. Sous la forme ramassée et schématique de notre texte, on comprend mal en quoi réside la tentation. Car il nous est difficile d'admettre que Jésus, même affaibli par le jeûne, soit réellement tenté d'adorer Satan pour acquérir la puissance politique à titre personnel. Nous-mêmes, tout pécheurs que nous soyons, ne serions-nous pas capables d'écarter un piège aussi grossier ? Jésus, le Juste, le Saint, aurait-il réellement envisagé pour réaliser une ambition terrestre, de se prosterner et d'adorer Satan lui-même ? Et d'ailleurs où placer la scène ? Quelle peut bien être cette «haute montagne» d'où l'on pourrait distinguer tous les royaumes de cette terre ? Ne serait-ce pas par une sorte de vision que Jésus découvrit ainsi, comme en un panorama, les royaumes de ce monde avec toute leur gloire (22) ? Dans ce cas, la scène s'éclaire et tout se comprend beaucoup mieux. Il s'agit bien d'une réelle tentation qui surgit dans la pensée même de Jésus. Ce qui est en cause, c'est bien plus qu'un désir de gloire ou de puissance égoïste. Une fois de plus Jésus envisage les moyens qu'il serait possible de mettre en œuvre pour accomplir sa mission de prédication, d'avertissement, de réconciliation des hommes avec Dieu. Et la tentation est grande d'utiliser pour cela la puissance politique 22. C'est la solution proposée par E. G. WHITE, op. cit., p. 63. Voir aussi M. J. LAGRANGE, l'Evangile selon St Luc, Paris, 1921, p. 130, 131. 7 23. Jésus pouvait trouver dans la Bible d'innombrables textes annonçant l'instauration d'un royaume, juste dirigé par Dieu, et son intérêt pour la « conversion » des peuples. Voir par exemple, dans le seul livre d'Esaïe, Es. 35 : 4; 66 : 18; 60 : 3; 56 : 8 ; 14 : 1 ; 42 : 8-21 ; 55 : 4, 5 ; etc. 24. Voir par exemple, toujours dans le seul livre d'Esaïe Es. 49 : 6-7 ; Es. 53 ; Es. 42 : 1 -7 ; etc. que lui donnerait la royauté d'Israël. N'est-il pas fils de David ? N'est-il pas, selon la Bible, un «roi qui vient» ? N'est-il pas le Juste ? Quel autre que lui pourrait faire régner sur Israël la justice, la paix, l'amour ? Ne serait-ce pas aussi le moyen de gagner à Dieu le monde ? A l'intérieur, d'abord. L'instauration du royaume de Dieu ici-bas, apporterait enfin les moyens dont la cause divine fut si souvent privée par les princes de ce monde : liberté de prédication de la Parole de Dieu, moyens d'information à son service, instauration de la véritable justice. Ce serait l'erreur démasquée, le crime poursuivi, les fauteurs de troubles et agents maléfiques mis hors d'état de nuire. Ce serait aussi la mise en pratique des principes divins, la promulgation de lois justes, appliquées avec amour. Tous les hommes pieux d'Israël verraient enfin que Dieu est juste et bon. Quelle merveille qu'un royaume dirigé par Jésus le Juste ! A l'extérieur, on ne tarderait pas à remarquer le bonheur et la prospérité de l'état juif dirigé par le Christ. Les prophéties bibliques seraient réalisées, et Israël accomplirait ainsi sa vocation de lumière parmi les nations. On pourrait dire partout cette grande nation est un peuple absolument sage et intelligent (Deut. 4 : 6-9). Quel extraordinaire «témoignage» ! Quel efficace moyen de conversion (23) ! Mais Jésus trouve aussi en lui des objections à cette façon d'envisager son ministère. Des objections bibliques, morales, religieuses. La tentation pouvait s'appuyer sur quelques textes que nous avons rappelés ; mais il ne manque pas, à l'opposé, de textes représentant le Messie non comme un roi mais comme un serviteur souffrant, humilié, méprisé (24). Jésus se devait, pour accomplir pleinement sa mission, de ne pas s'attacher aux seuls textes qui l'annonçaient dans son rôle de roi-juge de la fin des temps. Il lui fallait aussi et d'abord accomplir son rôle de rédempteur des hommes. D'autre part, la Bible annonçait clairement que le salut n'était pas réservé aux seuls Juifs et que tous n'en profiteraient pas ; ce salut était offert à tous les hommes. Sa portée n'était donc pas nationale, mais universelle (25). Ce que le Christ devait apporter, c'était le salut pour tous les hommes de toute langue, de tout peuple, de toute race. Et quel salut ? Non pas un salut politique, mais spirituel. Sa mission était de proclamer la délivrance des captifs de leurs péchés et non de délivrer les Juifs de l'occupation romaine. Jésus refuse donc d'adhérer au nationalisme et au particularisme juif de son temps. Il comprend que l'utilisation du pouvoir politique, même destiné à faciliter la conversion des hommes, aurait en lui-même des racines sataniques. Il serait impossible de faire comprendre aux Juifs assoiffés d'indépendance nationale que le pouvoir politique ne serait qu'un moyen et non un but. De plus, les Zélotes, sicaires et maquisards de tout bord verraient en lui le champion de la résistance nationale, le chef de guerre que le peuple attendait, le «condottiere» investi par Dieu «pour bouter le romain hors du sol sacré». Et Jésus, le bon berger prêchant la paix et l'amour serait ainsi «récupéré» par les mouvements nationalistes et terroristes les plus extrêmes. Il comprit le danger et repoussa cette tentation (26). Elle était bien réelle, cependant ! Et on la retrouve présente tout au long de son ministère, lorsque la foule, les disciples, les apôtres mêmes, tous remplis d'idéal nationaliste, sont persuadés que Jésus est bien le «roi qui vient» (27); mais désormais, depuis l'introspection du désert, sa décision est prise. Il refusera toujours, dans les termes les plus nets, toute attitude pouvant laisser croire qu'il se présente en roi (28). Il se veut définitivement le serviteur de Dieu, celui qui appelle les hommes individuellement, qui les interpelle dans leur conscience, refusant tous les avantages du pouvoir politique, refusant tout moyen de pression, toute main mise sur les êtres (29). Cette tentation fut aussi celle de l'Eglise. Force nous est de constater qu'elle ne sut pas y résister. La papauté, dans son souci d'efficacité, 25. Voir par ex. Es. 19 : 18-25. 26. Cf. A. SCH LATTE R, op. cit., p. 111. 27. Voir par ex. Marc 11 : 10. 28. Voir par ex. Marc 10 : 32-45, Marc 11 : 10, 11, où l'on voit Jésus se retirer à Béthanie, au grand désarroi des disciples, au moment même où la foule pense qu'il vient de faire un «coup de force» en chassant les vendeurs du Temple, et s'apprête à le suivre dans sa marche vers le pouvoir. 29. En d'autres termes, pour Jésus «la fin ne justifie pas les moyens». Cf. FLOYD V. FILSON, A Com-mentary on the Gospel according to St Matthew, London 1960, p. 71. 8 30. Cf. J. M. CREED, The Gospel accor-ding to St Luke, London 1965, p. 61. n'hésita pas, elle, à rechercher le pouvoir politique, à s'emparer des moyens d'information et de pression qu'il représente. Son histoire, du Moyen Age à la Révolution, n'est que l'histoire de son alliance avec le pouvoir (alliance du trône et de l'autel) ou même de sa domination abusive sur les royautés terrestres (querelle du dominium mundi, suzeraineté des papes sur les rois etc.). Alors que le Maître avait décelé les pièges de Satan, les disciples ont accepté de pactiser avec lui, n'hésitant pas à utiliser la violence pour «convertir» et remplir les églises. La possession du pouvoir lui apparut comme nécessaire à la réussite de sa mission. Jésus, au désert, avait quant à lui décidé de renoncer à ce pouvoir empoisonné. Homme parmi les hommes, il se voulait le porte-parole de Dieu s'adressant aux consciences des hommes, librement, sans les contraindre d'aucune façon, afin que leur conversion soit le seul effet de la parole de Dieu dans leur cœur. Il refusa donc la tentation, qu'il démasqua comme satanique, d'utiliser la puissance politique pour faire pénétrer un message religieux. Conclusion La triple tentation du Christ, que nous ne connaissons, remarquons-le, qu'à travers le récit que Jésus lui-même voulut nous en faire (30), nous apparaît donc comme l'expression d'un débat intérieur. Comment pourrait-il, d'ailleurs, en être autrement ? Toute tentation, pour être réelle, ne doit-elle pas en définitive se passer à ce niveau de l'être intime ? Jésus, qui vient de s'engager par le baptême dans son ministère du Salut, qui vient d'être déclaré Fils de Dieu, éprouve le besoin de méditer sur les moyens à mettre en œuvre pour accomplir sa mission. Il se retire donc au désert, comme beaucoup d'autres hommes de Dieu, avant et après lui. Là, alors qu'il jeûne pour accroître sa sensibilité et sa conscience morale tout autant que pour avoir l'esprit libre, se présentent à ses yeux, comme en des tableaux, les scènes illustrant les voies et les moyens envisageables. Grâce à sa sainteté, grâce à sa profonde communion avec Dieu, grâce à son humilité et à sa parfaite connaissance de l'Ecriture, il parvient à «voir clair», à repousser les pièges sataniques qui se dissimulent dans les mobiles et les moyens apparemment légitimes qu'il envisage. Il décide que son ministère sera : - Exempt de tout miracle destiné à lui-même. Il se veut totalement homme, totalement dépendant de la volonté divine à son égard. Il attendra tout de Dieu et se contentera d'être fidèle à sa mission. - Exempt de toute «récupération» de traditions religieuses ou théologiques qui pourraient lui assurer un succès ambigu en lui faisant oublier ou mettre au second plan son humble rôle de serviteur de Dieu. Il s'abstiendra également de « contraindre» Dieu au miracle. Il sera le second Adam, reprenant le combat pour remporter la victoire là où Adam avait échoué. — Exempt de toute utilisation du pouvoir politique, même à des fins religieuses, nobles ou élevées. Il s'abstiendra même de toute intervention en ce domaine, refusant toujours de se mêler des affaires de César, préoccupé qu'il fut toujours de rendre à Dieu ce qui lui est dû : l'adoration, le service, l'obéissance en toute chose (31). Ainsi, et seulement ainsi, il parvint, par sa totale soumission et sa totale dépendance envers Dieu, à triompher du mal. Les décisions prises dans le silence du désert, après cette longue méditation solitaire, lui permirent plus tard, au moment de la plus grande angoisse, dans le jardin de Gethsémané, ou sur le bois de la croix, de refuser à nouveau le miracle libérateur, et de répondre : non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. En cela Christ est pour nous le Sauveur et le modèle, l'exemple définitif. Jean FLORI 31. Ce refus de prendre parti sur le plan politique apparaît clairement dans sa réponse : rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Luc 20 : 25, 26. Sur l'interprétation de ce texte, voir J. FLORI, Rendez à César ... Conscience et Liberté, N° 9, 1975. 9 Et vous croyez, vous, que c'était une petite affaire de se remettre à ramer ? Oh ! passe encore pour l'effort physique : ils en avaient vu d'autres. Une traversée de ce genre n'effraie pas un pêcheur de métier. Quand on est seul, à la rigueur; mais là, tout de même, ils étaient douze ! Douze à se gratter la tête. A se creuser la cervelle. A chercher des «pourquoi ? ». Dire qu'il avait été si près du but... Mesurez leur déception, à ces pauvres Galiléens : passer si brusquement de la liesse populaire et du triomphe de leur Maître à la perspective désolante d'un voyage somme toute peu rassurant ! Peu rassurant : le soir est venu, la nuit tombe. A l'intérieur aussi : le rideau est tombé sur toutes sortes d'illusions ; l'avenir paraît maintenant obscur et incertain. Affronter la mer de nuit n'a jamais constitué une partie de plaisir, même pour des hommes vigoureux et expérimentés... Cap sur Bethsaïda ! Expliquez-moi pour quelle raison ils se retrouvent en fin de compte à Génésareth. Et par la même occasion, dites-moi pourquoi, selon le quatrième évangile, c'est vers Caper-naüm qu'ils se dirigent... On dirait que les récits s'ingénient à nous faire perdre le sens de l'orientation pour mieux nous faire ressentir et partager le trouble des disciples. Au point de vue chronologique, c'est encore pire. L'heure est déjà très avancée au moment où l'on s'avise que la foule a peut-être faim et qu'il faudrait songer à la nourrir — mais comment ? — ou à la renvoyer. On discute, on s'informe, on vérifie ; on prie la foule de s'étendre sur l'herbe (et pas n'importe comment : par carrés de cent et de cinquante) \ on écoute la prière, on attend que les pains soient rompus, on les distribue ; on fait de même avec les poissons ; puis, quand chacun est rassasié, on ramasse les restes ; on se fait un peu tirer l'oreille avant d'obéir et de s embarquer; on rame péniblement tandis que le Maître, de son côté, congédie toute cette foule et s'en va sur la montagne ; et figurez-vous que l'on a encore le temps de parvenir au milieu de la mer avant que le soir ne soit venu (1). Quelle cadence ! Mais ce n'est pas tout : on rame, on rame, on s'épuise à ramer par vent contraire, et lorsque le Christ apparaît, marchant sur la mer, il est... passé trois heures du matin ! On dirait que le bateau s'est immobilisé. Là encore, cette indication est révélatrice. Les disciples sont littéralement stoppés dans leur élan et leurs aspirations. Le temps s'enfuit et l'embarcation stagne. La solitude est pesante. Insupportable. Au milieu de cette mer hostile, la barque est tourmentée par les vagues. Mais de l'endroit où il s'est retiré, Jésus regarde. Et ce qu'il voit, ce n'est pas la tourmente en soi, mais les tourments des disciples qui s'épuisent à ramer. La nuance est à la mesure de son amour ! Par-delà les éléments déchaînés, le Seigneur perçoit les fatigues et les souffrances des siens. Il les a vus peiner. Ils manquent de forces. Peut-être aussi de foi. Ils ont besoin de sa présence réconfortante. Le Seigneur ne reste pas indifférent. (1) Marc 6 : 47 10 Il prend le chemin le plus direct : vers la quatrième veille de la nuit // vient vers eux en marchant sur la mer (2)... // vient vers eux... Son objectif est clair, pas moyen de s'y tromper. Mais le récit n'a pas fini de nous étonner : ... et 7/ allait les dépasser. Quand Jésus accorde quelque chose à quelqu'un, c'est que la personne manquait réellement de cette chose-là et pas d'une autre. A plus forte raison s'il s'agit d'un miracle. Son remède est le seul approprié, parce qu'il s'attaque au mal profond de l'homme. On peut donc difficilement soupçonner le Christ de s'être fourvoyé sur les besoins de ses disciples. Que voulait-il au juste ? Assurément pas leur prêter main forte dans leur lutte éprouvante. Pas davantage les encourager par des paroles de circonstance. Non ! En les dépassant, il se plaçait devant eux pour leur montrer le chemin. Pour le leur frayer. Ils croyaient que leur Maître était resté en arrière. Dans tous les sens du terme. Dans leur idée, le refus d'être couronné roi correspondait à un recul. Ce qui les bloquait, c'était moins les vagues et le vent que le fait de croire en un Jésus d'arrière-garde. Dans ces conditions, la démarche du Christ est significative : il les devance, il se porte en avant. A la pointe du combat. En plein cœur de leur avenir. Il leur prépare un sillage. Plus qu'un sillage : un sillon. Jésus dépasse les événements. Mais les disciples ne pénètrent pas le sens de sa venue. Ils n'y voient qu'une apparition fantomatique et se mettent à pousser des cris. Tant qu'ils en restent au visible, l'essentiel leur échappe. Pour avoir des chances de le saisir, ils doivent passer au stade suivant et se mettre à l'écoute du Seigneur. Marc entend de loin le rire des sceptiques et se hâte de préciser : tous l'avaient vu et avaient été troublés. Nous ne sommes nullement en présence d'un mirage affectant l'un ou l'autre des rameurs. Douze témoins sont prêts à se tenir à la barre. Ça pèse dans la balance. Suspects ? Dites-moi : suspects de quoi ? Ils avouent n'avoir pas compris. Si le texte nous est transmis, si la tradition s'attache à nous le faire connaître, ne voyez surtout pas là une tentative d'argumenter pour construire un joli petit système. L'Evangile ne cherche pas à nous endoctriner. Il nous livre un récit en nous laissant le soin d'en dégager les sens possibles. Notre liberté est grande ouverte (tâchez de supporter les courants d'air I). Dans ce miracle, les disciples tremblants n'ont vu tout d'abord qu'une scène effrayante, un spectacle terrifiant. En présence du Christ, deux catégories d'hommes : ceux qui viennent voir un «show», et ceux qui viennent écouter un message. La marche sur les eaux se prêterait aisément aux trucages du septième art. Mais le Christ en cinémascope, moi, je n'y crois plus... Pour les disciples, l'épisode se termine au moment où Jésus, après les avoir rassurés de loin, les rejoint dans l'embarcation. On s'attendrait de leur part à une sorte d'émerveillement, voire d'adoration, comme dans l'évangile de Matthieu (3). Marc relève simplement, selon son habitude, l'incompréhension dont Jésus est l'objet, le mystère qui entoure sa révélation. Même ses proches manquent le sens de ses interventions décisives lors de situations embarrassantes. Leurs méprises s'appellent l'une l'autre : ils étaient intérieurement au comble de la stupeur, car ils n'avaient pas compris le miracle des pains, mais leur esprit était fermé (4). L'explication est laconique : leur esprit était fermé. Il ne suffit pas d'avoir une liberté grande ouverte, il faut encore une ouverture d'esprit correspondante. Mais revenons au miracle proprement dit. Que le Seigneur ait marché sur les eaux, c'est une chose. Mais que le vent soit tombé dès que Jésus est monté dans la barque, c'en est une autre, dont la portée ne doit pas nous échapper. La présence du Maître coïncide avec la solution de tous les problèmes. Les disciples ballottés dans leur embarcation représentent l'Eglise qui peine et s'épuise à réaliser sa mission. Les croyants ont tous à lutter contre le vent et la tourmente. Quant au Christ, il s'est effectivement retiré. Nous l'imaginons peut-être sous son costume d'il y a deux mille ans, nous demandant pourquoi il reste si loin en arrière. La nuit dans laquelle nous nous débattons ne doit pas nous masquer la proximité du grand jour de sa venue. Venue qui sera forcément déconcertante. Au même titre que la marche sur la mer. L'apparition du Seigneur est toujours empreinte de fraîcheur et de nouveauté. Attendre son retour ne consiste pas à l'enfermer d'avance dans des schémas tout faits, à le domestiquer. L'élément «surprise» jouera un rôle prépondérant. Qu'en sera-t-il au moment où Jésus entrera dans la barque de notre vie ? Je veux parler ici de son intervention personnelle pour nous soustraire au découragement qui nous guette (vous vous souvenez : le vent, la nuit, les vagues...). L'aventure se terminera-t-elle dans l'adoration, ou dans la terreur et la stupéfaction ? Entre la crainte et l'élan de la foi, il y a de la marge pour toute une gamme d'issues possibles. Celle que nous décrit le quatrième évangile n'est pas la moins intéressante : Ils allaient le prendre dans la barque, mais la barque aussitôt toucha terre au Heu où ils se rendaient (5). Original ! Le vent n'a pas besoin de se calmer. Des vagues, il n'en est plus question. Le décor menaçant s'efface. Peu importe la bourrasque, le voyage touche à son terme. La présence du Christ abolit la distance à parcourir. Avec lui, nous sommes au but. Parce qu'il est lui-même le but. Yvan BOURQUIN (2) Marc 6 : 48 (vers, de Jérusalem) (3) Matthieu 14 : 33 (4) Marc 6 : 51-52 (vers, de Jérusalem) (5) Jean 6 : 21 (id.) 11 L INFLUENCE REMARQUABLE DELA BIBLE Un livre qui a inspiré la pensée universelle Les biographes de Bossuet racontent comment l'illustre évêque de Meaux prit contact avec la Bible. Bossuet venait de terminer ses humanités lorsqu'un jour, dans la bibliothèque de son père, sa main rencontra une Bible. Il l'ouvrit et lut pour la première fois quelques pages du Vieux Testament. Ce fut une révélation dont il parlait avec vivacité jusque dans son extrême vieillesse. Depuis ce jour, la Bible ne le quitta plus, ce fut sa nourriture journalière, son livre de chevet, le manuel de son érudition religieuse (Jandar, Bossuet orateur, 1867, p. 11). Désormais dans tous ses entretiens avec ses amis, il ne cessait d'insister sur les avantages et les consolations que l'on trouve dans l'Ecriture. Il répétait souvent les paroles de saint Jérôme à Népotien : «Que ce livre divin ne sorte jamais de vos mains.» L'abbé Ledieu qui vécut vingt ans auprès de Bossuet rapporte qu'il ne se passait de jour sans qu'il ne chargeât les marges de sa Bible de quelques notes abrégées sur les doctrines ou la morale, bien qu'il la connût par cœur presque entièrement. Il la lisait et la relisait sans cesse y trouvant toujours de nouveaux sujets d'instruction. Il ne partait jamais en voyage, même une heure ou deux, sans faire mettre dans sa voiture, avec son bréviaire, un Nouveau Testament. Ce fut une règle dans toutes ses maisons, à Paris comme à la cour, de trouver toujours une Bible sur son bureau ainsi qu'une concordance. (Voyez de Beausset. Histoire de Bossuet, vol. 1, p. 1, par. 32.) Son amour pour la Bible fut si grand qu'il n'hésita pas à prendre ses premières leçons d'hébreu, âgé de soixante ans. «Avec la Bible, je veux vieillir, avec la Bible je veux mourir», disait-il. Sa vie entière, comme celle de saint Augustin, était une méditation continuelle de la Parole de Dieu. Ne cherchons pas ailleurs le mystère de l'éloquence de ce prince de la pensée et du langage qu'on surnommait «l'aigle de Meaux». Le contact journalier avec les patriarches, les prophètes et les apôtres de la Bible avait marqué ses discours et ses textes d'une empreinte inimitable. En effet, la Bible a de tout temps été une source d'inspiration supérieure. «Au simple point de vue littéraire, écrit Mgr Dupanloup, il est reconnu, sans nul conteste par tous les hommes de goût que nulle littérature n'est comparable à la littérature biblique; nulle n'est plus variée et plus riche, plus colorée, plus éclatante, plus hardie. Il serait superflu d'insister sur un point si universellement admis. Nulle poésie et nulle éloquence ne pourraient soutenir le parallèle avec la littérature et l'éloquence des livres saints ; Moïse, Job, Esaïe, David et tous les prophètes laissent loin derrière eux les plus grands poètes. ... On ne saurait donc qu'exalter les beautés littéraires de la Bible, et, à une telle étude, on le sent assez, le style comme l'âme ne peuvent que s'élever. Racine doit à son commerce avec les livres saints sa plus sublime poésie et Bossuet sa haute éloquence, celle des Discours sur l'histoire universelle, des Oraisons funèbres et des Elévations sur les mystères.» — Lettres aux hommes du Monde, p. 499, Paris, Donniol, 1867. L'expérience de Bossuet fut aussi celle de notre poète national Victor Hugo. Toute son œuvre est un reflet de ce qu'il a lu, médité, appris par cœur dans ce qu'il appelle «le saint Livre, que j'admire, le texte auguste, le livre de Dieu» (Contemplations Pauca meae VIII). C'est du fond de son exil à Jersey, à un demi siècle de distance qu'il se rappelle ce premier contact avec la Bible, alors qu'enfant, accompagné de ses deux frères, il était monté au grenier : « Nous grimpâmes un jour jusqu'à ce livre noir. Je ne sais pas comment nous fîmes pour l'avoir. Mais je me souviens bien que c'était une Bible. » - Contemplations, Aujourd'hui, Aux Feuillantines. Ils feuilletèrent le gros livre noir avec un saint respect. « Nous lûmes tous les trois ainsi tout le matin, Joseph, Ruth et Booz, le bon Samaritain. Et, toujours plus charmés, le soir nous le relûmes.» Insensiblement, depuis ces jours d'enfance, l'âme du poète se rem- 12 BOSSUET VICTOR HUGO LAMARTINE CALVIN Phot. Bibl. nat. Paris plissait de l'éloquence des auteurs du saint Livre. Alors que ses prédécesseurs du 18e siècle citaient les auteurs païens et rapportaient leurs fables, Hugo citait la Bible. Il avouait lui-même : «Aux couleurs usées et fausses de la mythologie païenne, je substitue les couleurs neuves et vraies de la mythologie chrétienne» (Préface des Odes, 1822). Son lyrisme charrie à plein bord les images bibliques qui émergent à chacune de ses strophes. Un jour, il s'écria : « La Bible, c'est mon livre ! » - Légende des siècles, Préface 1857. Elle a fourni à l'auteur des Misérables une morale sereine, étrangère au cléricalisme étroit des hommes d'église de son temps et à sa poésie elle prêta un cadre pour son humanisme. Grâce à la Bible, il sera la voix du peuple, du peuple qui souffre et espère, du peuple dont toutes les énergies sont tendues vers un idéal social, politique et spirituel meilleur. Vu sous cet angle, Hugo fut à sa manière le prophète de la France, l'homme dont la plume paraît parfois être inspirée. Son œuvre contribua incontestablement à réformer l'appareil social et juridique de son pays. Il nous a laissé ce témoignage qui peut être regardé comme son testament littéraire : « Le poète ne doit avoir qu'un modèle, la nature; qu'un guide, la vérité. Il ne doit pas écrire avec ce qui a été écrit, mais avec son âme et avec son cœur. De tous les livres qui circulent entre les mains des hom mes, deux seuls doivent être étudiés par lui, Homère et la Bible. C'est que ces deux livres vénérables, les premiers de tous par leur date et par leur valeur, presque aussi anciens que le monde, sont eux-mêmes deux mondes par la pensée. On y retrouve en quelque sorte la création tout entière considérée sous son double aspect, dans Homère par le génie de l'homme, dans la Bible par l'esprit de Dieu.» — Odes et ballades, préface, 1826, p. 29, Paris, Herzel-Quantin. Hugo ne fut pas le seul à prendre la Bible comme livre de chevet, ni le premier. Toutes les grandes plumes du Moyen Age, de la Renaissance, et des temps modernes, ont puisé en elle leurs plus nobles inspirations. Esprit de vie Erasme, Calvin, Dante, Rabelais et des centaines d'autres grands écrivains furent de fervents lecteurs de la Bible. L'auteur de Gargantua souhaitait que tout honnête homme connût l'hébreu afin de pouvoir mieux goûter les charmes de la Bible. Quant au grand siècle, celui de Pascal, Racine et Corneille, il est plein de ce livre. Lamartine, le doux chantre de la France, en parlant de son adolescence, se plaisait à dire en montrant sa Bible : « C'est là que je puisais comme la plante dans le sol les sucs nourriciers de ma jeune intelligence. » Il n'est jusqu'à nos modernes poètes, historiens et penseurs, Claudel, Daniel Rops, et l'étrange et géniale Simone Weil en tête, qui n'aient trouvé dans la Bible «la fontaine sacrée à laquelle ils ont bu à longs traits». Claudel a dit : «J'aime la Bible, elle est associée chez moi au premier éveil du cœur et de l'imagination. Robert Kemp, le célèbre critique, qui est entré à l'Académie, succédant au fauteuil de Louis Madelin, fit récemment une remarque pertinente dans sa chronique hebdomadaire « La vie des livres» dans les «Nouvelles littéraires ». Parlant de la Bible, il écrivait : « Il s'agit d'un des textes qui ont nourri la pensée universelle depuis des siècles, d'un texte qui est la source de toutes les littératures essentielles du Moyen Age à l'époque classique française, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, en Espagne. L'importance de la Bible est évidente, c'est un texte dont l'ignorance creuse un abîme dans la culture humaniste. Ce qu'on appelait autrefois l'Histoire sainte a été à peu près écarté des programmes. Qui n'en connaît pas les grandes lignes mérite cependant le bonnet d'âne. » Et le célèbre auteur d'ajouter en conclusion : «Je veux la Bible pour tout homme désireux d'étendre ses connaissances, de réfléchir sur sa condition dans le cosmos et de goûter la beauté des pensées et du Verbe. » 13 NEWTON Phot. Bibl. nat. Paris La Bible a effectivement été la mère nourricière de la culture occidentale. Ce fait est en soi fort curieux, car elle n'est précisément pas un livre occidental, c'est une production de l'Orient et l'on sait que les sages et les poètes de l'Orient sont peu appréciés chez nous. Pour nous être accessibles, ils doivent être rendus intelligibles, subir une véritable transfusion, ce qui oblige le traducteur à modifier certains passages, à adoucir certains termes. Or, notre vieille Bible n'a pas besoin de ces retouches, elle est accessible aussi bien à un Allemand qu'à un Chinois, à un Néo-Zélandais ou à un Argentin. Ce n'est pas là le moindre de ses mérites. La Bible peut être lue et relue cent fois, elle ne lasse jamais. Lacordaire, le célèbre orateur disait : «Voilà trente ans que je lis ce livre et j'y trouve chaque jour de nouvelles clartés et de nouvelles profondeurs. » Est-ce surprenant que les hommes les plus illustres, ceux dont la pensée fait autorité en Allemagne, en Angleterre, en Italie, dans les pays Scandinaves et surtout en cette terre de liberté qu'est l'Amérique, aient tiré de la Bible une large mesure de la culture qui a fait leur succès ? Citons encore quelques témoignages et tout d'abord celui de ce génie brillant dont l'Allemagne s'honore et qui pourtant ne fut point chrétien, ni dans sa vie privée, ni dans sa vie publique, mais dont la vaste intelligence fut propre à juger de la valeur des hommes et des livres, j'ai cité Goethe : « La Bible doit la grande vénération dont elle jouit de la part de tant de peuples et de générations sur la terre, à sa valeur propre. Elle n'est pas un livre national, elle est le livre des nations, parce qu'elle retrace les événements d'un seul peuple comme un symbole et un enseignement salutaire pour tous les autres. Seule, elle rattache l'histoire à l'origine du monde et la mène jusqu'aux régions les plus éloignées de l'éternité. ... La Bible est un livre éternellement vivant, parce que, aussi longtemps que le monde sera debout, il ne se trouvera jamais personne pour se lever et dire : Je la comprends dans son ensemble et dans ses détails.» Parlant de l'évolution intellectuelle de l'humanité, le célèbre philosophe disait : « Que le monde progresse tant qu'il veut, que toutes les branches des connaissances humaines se développent au plus haut degré, rien ne remplacera la Bible, base de toute culture et de toute éducation. » Et encore : «C'est ma foi dans la Bible qui m'a servi de guide dans ma vie morale et littéraire. ... Plus la civilisation avancera, plus la Bible sera employée. » Un autre écrivain, philosophe allemand célèbre, Henri Heine, homme sceptique qui professa le panthéisme pendant des années et qui fut aussi un auteur léger, rapporte une expérience qu'il fit alors qu'il se trouvait dans l'île d'Héligoland, démuni de toute lecture, s'ennuyant à mourir. «Au plus fort de mon ennui, dit-il, je trouvai une Bible et je me mis à la lire en désespoir de cause, mais, bientôt je fus intéressé et grandement édifié. Quel livre que celui-là ! Vaste, infini comme le monde, enraciné dans les abîmes de la création et s'élevant par-delà les profondeurs du ciel ! » La vérité accessible Se serait-on douté que la Bible était le livre de prédilection de Napoléon 1er pendant sa captivité à l'île d'Elbe ? On a retrouvé l'exemplaire du saint Livre qu'il avait alors entre les mains. C'est une Bible d'une édition très ordinaire, ornée de grossières gravures sur bois ; sur le dos gravé un N surmonté de la couronne impériale. D'après le correspondant de «l'Echo de Paris», cette Bible a été trouvée dans le sanctuaire de la Madona del Monte qui domine l'île d'Elbe et près duquel Napoléon séjourna dix-sept jours. L'empereur a souligné maints passages qui traduisent son état d'âme 14 PASCAL NAPOLÉON Ier Phot. Bibl. nat. Paris pendant les premiers jours de son exil. En voici quelques-uns dont nous donnons la traduction française (la Bible en question est en italien). Mon âme est saisie de tristesse ; veillez avec moi. Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées. Chargez-vous de mon joug et apprenez de moi car je suis doux et humble de cœur. Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ? Charles Dickens, le célèbre romancier anglais, tenait lui aussi la Bible en haute estime. Il écrivait à son fils partant pour l'Australie : «Je place un Nouveau Testament parmi vos livres parce qu'il n'y en aura jamais aucun aussi bon que celui-là et parce que je suis persuadé que vous y trouverez les meilleures leçons pour être fidèle à la vérité et au devoir. » Lord Byron, un autre auteur anglais célèbre, disait : «Dans ce livre auguste est le mystère des mystères. Ah ! heureux entre tous les mortels ceux à qui Dieu a fait la grâce d'entendre, de dire, de prononcer en prières et de respecter les paroles de ce livre ! Mais il vaudrait mieux qu'ils ne fussent jamais nés, que de lire pour douter ou mépriser. » Quant à Thomas Henry, Huxley, qui fut un grand adversaire scientifique du christianisme, il disait dans une de ses conférences : «J'ai toujours été d'avis que l'instruction publique devait être débarrassée de toute théologie, mais je dois confesser combien perplexe je me suis trouvé en cherchant une base de conduite morale pour l'état chaotique de notre temps, sans l'emploi de la Bible, car il n'y a aucun autre livre où des pensées plus sublimes, plus saines, soient rendues aussi accessibles et aussi attrayantes à l'esprit de l'enfant. » Les quatre plus grands poètes anglais, Shakespeare, Milton, Tenny-son et Browning, révèlent également dans leur œuvre une rare connaissance de la Bible qu'ils tenaient en haute estime. Qui ne connaît l'admiration que Pascal témoignait à l'Ecriture sainte. Voici quelques lignes de sa main : «Que l'on considère les merveilles de l'Ecriture sainte qui sont infinies, la grandeur et la sublimité plus qu'humaines des choses qu'elle contient et la simplicité admirable de son style qui n'a rien d'affecté, rien de recherché et qui porte un caractère de vérité qu'on ne saurait désavouer. L'Ecriture sainte n'est pas une science de l'esprit mais du cœur. Elle n'est intelligible que pour ceux qui ont le cœur droit. » Emmanuel Kant, le célèbre philosophe allemand disait que : «La Bible est une fontaine inépuisable où l'on peut trouver toutes les vérités. » Nous pourrions multiplier les témoignages, citer Georges V roi d'Angleterre, Roosevelt, Sir Isaac Newton, Benjamin Franklin, Gladstone, Daniel Webster, le général Pershing, le maréchal Foch, Gari-baldi, Thomas Carlyle, Samuel Taylor, Coleridge, Tolstoï, Ruskin, Dos-toïewski, Leibniz et beaucoup d'autres, cela n'ajouterait rien à notre propos. La Bible a été le livre de chevet de l'humanité. Tous les grands hommes, dont elle s'honore, ont nourri leur pensée de son message et leur style propre est marqué par celui des prophètes de la Bible. Citons, pour conclure ce chapitre, encore deux auteurs, le premier Alexandre Vinet, l'écrivain national suisse, qui fut un puissant esprit, un philosophe remarquable, un homme politique influent. Voici ce qu'il disait : «Toute la Bible est un vase de parfums, dont les émanations universelles montent de siècle en siècle, jusqu'au trône de l'Agneau. ... Toute la Bible est un concert sublime dont les accords dictés par Dieu lui-même sont comme le prélude, tour à tour joyeux et mélancolique, humble et triomphant, du concert éternel des cieux. » Et enfin, le mot de Jean-Jacques Rousseau devenu vieux, abandonné des hommes : «Il n'y a qu'un livre que je puisse encore relire, c'est la Bible, elle ne me quitte plus. » Charles GROSS 15 DOSTOÏEVSKY FRANKLIN TOLSTOÏ J. J. ROUSSEAU «- Combien gagnez-vous par mois ? - Quelle est la marque de votre voiture ? — Dans quel quartier habitez-vous ? — Où passez-vous vos vacances ? » Autant de questions qui permettent d'évaluer l'homme que vous êtes, ou que vous êtes appelé à devenir. J'ai entendu dire que dans certains pays très avancés, on introduisait dans les présentations coutumières le salaire annuel : - « Je vous présente Léon DUPONT ; il vaut 100000 NF. » Il y a quelques années en arrière on insistait davantage sur les titres : « Nous avons la joie d'avoir parmi nous Monsieur Albert DURAND, docteur ès-lettres, Président de l'Association des Grammairiens, vice-président de ceci et premier secrétaire de cela. » Plus les titres étaient nombreux et compliqués, plus on avait l'impression d'avoir affaire à quelqu'un d'important. Le titre est aujourd'hui remplacé par le compte-chèque. Dans un sens c'est bien dommage. Ils représentaient ces chers notables une manière de vie très provinciale, et en 16 cela plus tranquille et plus humaine aussi. On croyait, semble-t-il, davantage à l'homme qu'aujourd'hui. Mais quelle dangereuse évolution notre civilisation prend-elle si l'on en vient à juxtaposer nom de famille et argent gagné ! Si cela continue, un jour viendra où l'on ne dira plus : — «Je vous présente Monsieur DUPONT : il vaut 100000 NF, mais -Je vous présente 100000 NF. » 100000 NF !... L'apôtre Pierre ne les avait pas lorsqu'il s'est rendu au temple accompagné de Jean. Il ne les a jamais eus de sa vie. L'apôtre Jean non plus. De condition modeste, ils étaient plus enclins à compter les centimes de l'époque que les billets. Que peuvent faire deux hommes sans argent ? Rien. Ils ne peuvent acheter, ils ne peuvent faire la charité ; apporter aux pauvres, nombreux à Jérusalem, quelques sous indispensables pour vivre. Pierre et Jean se rendaient au temple. Il y avait justement là un homme boiteux de naissance, qu'on portait tous les jours devant la porte pour qu'il demandât l'aumône. « La charité, Messieurs Dames, la charité, Messieurs Dames...» L'endroit est évidemment bien choisi. Comment se rendre au lieu de prière en fermant les yeux devant ce boiteux ? Pierre et Jean passent. L'homme les voit et leur demande l'aumône. Les deux apôtres s'arrêtent, le regardent attentivement. -«Enfin quelqu'un qui examine ma pauvre situation ! Regardez-moi bien ! Je suis boiteux de naissance, je n'ai jamais pu, comme vous, marcher, courir, sauter. Je suis collé au sol, et on est obligé de me porter ici. Voyez ma misère, vous qui allez prier Dieu. Je vous demande quelque argent pour me permettre de vivre sans trop ennuyer autrui. » Pierre lui dit : Je n'ai ni argent ni on mais ce que j'ai je te le donne. Actes 3:6. Mais enfin, quelle réponse ! Cet homme a besoin d'argent et si on peut lui donner de l'or, il l'acceptera volontiers. Pierre lui enlève ses illu sions, en lui disant : Je n'ai ni argent ni or. Mais il ajoute : Ce que j'ai, je te le donne. Que peut-il avoir ? De la petite monnaie, probablement. Enfin, pas grand chose. Et notre boiteux doit juger un peu prétentieux ces deux hommes qui ont l'air si convaincus, sûrs d'eux-mêmes, comme s'ils avaient quelque chose d'important à donner. Mais Pierre continue : Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche ! Actes 3 : 6, 7. Alors quelque chose d'extraordinaire se passe : Le prenant par la main droite, nous dit le récit, 7/ le fit lever. Au même instant, ses pieds et ses chevilles devinrent fermes ; d'un saut 7/ fut debout et se mit à marcher. H entra avec eux dans le temple, marchant, sautant et louant Dieu. Actes 3 : 7, 8. Tout le peuple le vit marcher et louer Dieu. On le reconnaissait. Et les gens se trouvèrent complètement stupéfaits et désorientés par ce qui lui était arrivé (verset 9). L'homme ne lâchait plus Pierre et Jean ; tout le peuple accourut autour d'eux. A cette vue, Pierre s'adressa au peuple : — Israélites, pourquoi vous étonner de ce qui arrive ? Pourquoi nous fixer comme si c'était par notre puissance ou par notre piété personnelle que nous avions fait marcher cet homme ? Actes 3:12. Grâce à la foi, au nom de Jésus, ce nom vient d'affermir cet homme que vous regardez et que vous connaissez, et la foi qui vient de Jésus a rendu à cet homme toute sa santé en votre présence à tous. Actes 3:16. Pierre et Jean n'avaient ni argent ni or. D'ailleurs qu'auraient pu faire l'argent et l'or sinon maintenir l'infirme dans son infirmité ? Mais ils avaient beaucoup plus : ils avaient la foi en Jésus-Christ, cette foi qui peut soulever les montagnes, tant elle est puissante. Vous avez peut-être de l'argent, de l'or, mais il vous manque l'essentiel pour résoudre les problèmes qui vous entourent : il vous manque la foi. Vous n'avez peut-être ni argent ni or pour régler certains problèmes qui vous affectent. Rassurez-vous : le plus important, la solution ne se tient pas dans l'or qui finit par rouiller, mais dans la foi en Jésus-Christ. Croyez que Dieu vous aime. Croyez que Jésus vous a sauvé, et comme le boiteux votre vie se transformera, vous connaîtrez la joie, la vraie joie et le bonheur. S7 vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, dit Jésus, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d'ici là, et elle se transporterait Matthieu 21 : 21,22. En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle. Jean 6 : 47. John GRAZ 17 toi, le truand, l'irrécupérable aux yeux des juges, qu'y a-t-il de commun entre nous, sinon cet instant, sinon l'essentiel, auprès de quoi paraissent si petits tous les drames des hommes, et leur jalousie, et leur méchanceté même, ce moment suprême où la souffrance d'être intense affole le cerveau, emplit les yeux de sang, où je ne sais plus ce que je veux, ce que je suis, ce que je fais là, campé, crispé, tordu, meurtri dans ce malheur sans issue où je sens que mon Dieu m'abandonne... J'étouffe, comme toi - tu bouges encore ? -parce que la mort va nous prendre et nous faire basculer dans l'inconnu... Qu'en sais-tu plus que moi de ce trou étrange où nous allons ? Nos muscles se crispent ensemble, ensemble nos cœurs vont craquer, et ces clous, ah, c'est cela, ces clous furent forgés à la même enclume du même forgeron. Nous nous en allons ensemble par les chemins de toute la terre, toi parce qu'il y a des crimes dans ta vie, moi parce qu'il y a des crimes dans le monde. Q e ne sais même pas ton nom, J comment t'appelait ta mère, ta pauvre mère, quand tu étais un enfant blond, tout comme les autres, à jouer en riant sur ses genoux. Elle rêvait de faire de toi, comme toutes les mères, un savant, un marchand ou bien un capitaine... Elle n'est pas là ce soir, elle ne sait rien de ce qui arrive à son grand fils. C'est peut-être mieux. Que peut savoir une mère de ce que deviendra un jour son enfant quand elle ne pourra plus le garder, riant, sur ses genoux ? La mienne, tiens, elle est là. Ça rend plus difficile encore de disparaître, car on^sent qu'on la trahit, et qu'elle se déchire elle aussi. LE BON LARRON 4ue t'est-il arrivé, pauvre loque crispée, que tu aies mérité tant de souffrances... Quel malheur as-tu créé aux autres que le tien tente de réparer ? Te souviens-tu de tous tes crimes ? C'est vrai qu'il en suffit d'un pour mériter ce châtiment. Mais peux-tu encore voir dans l'obscure et malsaine aventure de ta vie manquée (tu aurais au moins pu être un bon gars, non ?) ce qui t'a trahi, ce qui t'a perdu ? Mais tu ne cherches point. Tu sais encore distinguer le bien du mal, pour toi un crime reste un crime et parce que tu sens qu'il y aurait trop à faire, trop d'irréparable, tu capitules, tu acceptes cette justice sans révolte, pris, ou la haine tenace de ton compagnon que tu entends peut-être crier là près de moi à la vengeance. Pauvre homme, lui, d'en être là, au moment de l'éternité, agonisant dans la haine et me parlant à moi d'une mort inutile. Echec de sa vie autant que de la mienne... Mais que puis-je contre l'impénitence qui donne à ses muscles tordus la colère et la vengeance, et la soif encore, s'il le pouvait, de tout détruire ? 18 Parle-lui, toi. Dis-lui de se taire. C'est ton ami. Il t'écoutera. Il voudrait que je sois le sien. Tu l'entends, mais pour mal faire. Je ne puis l'être s'il n'est déjà le mien. Je ne peux rien lui dire. Il m'insulterait sans comprendre. Toi, tente une dernière fois, dis-lui simplement qu'il craigne Dieu, dis-lui comme cela, gentiment : « Ne crains-tu pas Dieu ? » Comme un reproche qui ne l'accuse point. Va, dis-lui. C'est lui qui t'aura entraîné, et conduit jusqu'ici ? Toi, tu t'es laissé faire ? Parle-lui. Tu exerçais plus aisément, semble-t-il, tes violences contre tes victimes, contre lui tu n'oses rien ? Reprends de l'assurance maintenant : dis-lui que tu n'es plus son jouet. Fini. Il est temps. D'être cloué là, comme lui, t'en donne bien le droit. Dis-lui surtout, pour qu'il le sache, que lui et moi ne pouvons être ensemble car pour lui c'est justice, et moi je n'ai rien fait de mal. J'ai sauvé les autres, c'est vrai, mais mon pouvoir est pour le bien, jamais pour la révolte. Ce qu'il doit savoir encore, c'est que de détruire jamais ne mène à rien, mais qu'en dépit des apparences d'aujourd'hui Dieu aura toujours le dernier mot. £ 'entends que tu lui dis : J «C'est justice pour nous», et non seulement pour lui... Ainsi tu te vois comme lui, coupable du pire ; tes crimes te paraissent à ce point odieux maintenant cloué au bois et qu'avec les coups de maillet tout à l'heure le repentir t'a transpercé, que tu te laisses mourir pour ne point échapper au châtiment. Tu aspires à la souffrance que tu endures pour mieux connaître celle que tu as infligée... Tu n'en veux plus à personne, n'est-ce pas, même pas à lui de t'avoir entraîné : tu as été veule, lâche, maladroit, mais tu endures tout. Tu ne veux même pas te différencier de l'autre, lui rejeter la faute, tu ne cherches point des degrés dans les peines, toi, moins coupable que lui : c'était lui le chef, n'est-ce pas ? Cela se voit à sa haine ; il faut être dur, buté, inflexible et se croire héroïque, pour entraîner les autres. Toi, au contraire, tu as d'un coup tout remis en question. Tu te sens effrayé brusquement du mal immense qu'avec lui tu as fait et la mort te semble plus douce que tous les châtiments que tu sais mériter. Iaisse ta conscience t'accuser maintenant : laisse, laisse faire. Elle te guérit déjà et ta vie qui s'en va redevient toute saine. Moi, je ne te dis rien. Je ne suis point ton juge. Vois-tu, la vie est ainsi faite, et notre mort à nous, que je ne puis, moi, t'accuser et que jamais je ne pourrai le faire, car je meurs avec toi. Tu fais bien de ne pas chercher à diminuer ta faute, à dire que tes crimes, il en serait de pires, que d'autres ont échappé, plus coupables que toi, que ton malheur enfin fut de te laisser prendre. La justice dont tu parles n'est point celle des hommes, ne tente plus de détourner la mort, puisque tu ne peux plus rien ; ne te révolte pas contre elle quand elle t'envahira tout à l'heure, déjà ton premier crime, ta première pensée, la dirigeait vers toi, et c'est son rendez-vous. C'est le prix de ta faute et moi aussi, tu vois, je paie. Mais notre grande chance, si j'ose te le dire, c'est de ne point mourir chacun tout seul mais d'être ce soir, ensemble, au Golgotha. 19 tu sais, ce grand péché qui est tout le tissu, unique, de ta vie, tu ne peux l'expier à toi tout seul. Il est si grand, il est si lourd (ne t'en rends-tu pas compte, maintenant ?) qu'il n'y faut pas la mort d'un homme : il y faudrait la mort d'un Dieu. Et de mourir pour toi rend ma mort plus douce. Et puisque je sens aussi tout ce que le crime d'un homme peut faire souffrir quand il faut qu'on l'expie, comme il blesse le cœur quand on veut qu'il s'en aille, et qu'il perce mon corps pour mieux quitter la terre ; quand moi-même, je meurs -et j'étais fou d'angoisse que ce ne fut pour rien (Ecoute ton complice : il m'insulte encore, et toi, et Dieu) alors toi, mon ami, toi qui me montres enfin que ma mort n'est pas vaine laisse-moi prendre sur moi, oui, sur moi, toute ta peine. de te sentir là, tout près de moi, puisqu'on n'y peut rien faire maintenant, que d'attendre que tout lentement s'accomplisse, inexorablement, de te sentir là me rend plus fort : tu es ma première victoire. Je sais maintenant que ma mort n'est plus vaine quand même elle ne servirait qu'à toi, et toi, sans que tu t'en doutes, tu m'auras conduit jusque dans mon règne. Il m'est plus facile de mourir quand je te regarde : Merci, oh merci, jusqu'au dernier moment, d'avoir été là. Non, je ne t'oublierai pas, le pourrais-je même, car mon règne c'est toi. Regarde-moi, ne me quitte pas des yeux : notre regard est notre seule liberté. Par delà notre mort commune, tes yeux sont la porte de mon royaume, avec tout au fond cette lumière. Tourne-toi vers moi. Ne me quitte pas. Si tu sens que je pars avant toi, ce qui est bien probable -je le souhaiterais presque maintenant -ne me quitte pas des yeux. Quand tu sentiras venir pour moi le dernier instant, la seconde suprême, peut-être crierai-je encore que mon Dieu m'abandonne, mais regarde-moi, encore et encore ; et toi, supplicié, crucifié, avec ta chair meurtrie, avec tes mains de brute, déchirées, avec ce sang qui te coule jusqu'au coude, toi seul qui peux savoir ce qu'on peut endurer sur ce bois, quand tu me sauras sans plus de vie, que tu te sentiras seul, alors tu me veilleras et par delà l'angoisse, ailleurs que dans ton corps tu sentiras la paix. A cet instant, tu sauras que tout est accompli, puisque toutes mes luttes d'homme auront cessé, et que je suis devant toi entré dans mon règne. Tu attendras un peu de temps, peut-être jusqu'au soir, au lendemain qu'importe, tu verras venir tes dernières souffrances, oui, les dernières, tu n'en connaîtras plus, et à ton tour, tranquillement, (je te donne ma paix) tu te laisseras partir. • I y eut, depuis bien des jaloux. 1«Quoi ! dirent les gens qui discutaient autour des cadavres, ce serait trop facile. Une phrase, et lui qui n'a rien fait de bien, le voilà sauvé ! Alors que nous, de notre vie tout entière, nous n'y parvenons qu'à peine ! » Ceux-là ignorent que dans la vie, ce qui compte, ce n'est pas la durée, mais l'intensité. Ils n'entendirent d'ailleurs pas du Christ toutes les paroles. Il avait dit encore : — « Oui, toi, vieux truand, vieux frère, que sais-tu du paradis ? Qu'est-ce même pour toi ? Un mot que tu répètes des docteurs de la loi ? Mais qu'importe après tout si c'est ta manière à toi de me dire que tu ne veux pas me quitter. Ton paradis, tel que tu l'imagines dans tes rêves de forçat, je te le laisse tel quel. Il est peut-être vrai. Après tout, pourquoi pas ? Ce n'est guère le moment de raconter là-dessus de belles histoires. Laisse les belles histoires à ceux qui ne souffrent pas. De toute façon, je t'y donne rendez-vous. Tu y seras avec moi. » 20 Alors les gens redirent : « Mais le méritait-il ? » Ce furent les théologiens, les gens de religion, beaucoup de croyants, et des impies. Ils parlèrent entre eux de la loi de Dieu, de la récompense promise à qui marche droit. Ils acceptèrent sans doute la parole du Christ, puisqu'il était le maître, mais ils ne la répétèrent guère. Comment donner la suprême récompense à qui n'avait point fait une seule bonne action, même la plus petite ? Alors dans leur paradis à eux ils imaginèrent au bon larron, dont l'histoire n'incitait guère à la morale, un petit strapontin parmi les fauteuils des saints, couronnés de leurs œuvres, brillants comme des étoiles, sur l'estrade d'honneur. Ils oublièrent que le Christ avait dit encore : - «Vieux truand, mon ami, mon frère, je ne te veux point le dernier, mais le premier. Le jour obscur où mes apôtres eux-mêmes s'étaient enfuis, honteux de mon châtiment, doutant dans leur cœur, eux qui me considéraient frappé de Dieu et humilié, toi seul dans ta souffrance, déchiré toi aussi dans ta chair, tu m'as veillé, et pendant quelques heures tu fus tout mon royaume. » Et tu n'attends point de récompense. Alors ma grâce qui agit pour la première fois, peut être tout entière. Tu n'as droit à rien : ce n'est pas comme ceux qui viennent à moi avec leurs minables mérites, leurs vies disent-ils sacrifiées, et attendent de moi le salut comme un salaire, ô stupides disciples qui se disputent entre eux les places (lesquelles d'ailleurs ?), comme j'aurais souvent envie de les renvoyer dans ce qu'ils appellent le monde, s'ils veulent faire carrière ! Mais toi, mon pauvre, que peux-tu bien attendre, sans droit, sans dû, sans titre, exemple absolu de quelqu'un qui n'a rien fait pour Dieu, strictement rien ! » Alors écoute-moi bien. Voilà ce qu'on va faire. Quand tu verras, par un beau clair matin d'éternité, le jour enfin venu des choses rétablies, lorsque tu verras s'organiser dans les fils des rachetés, qui seront tous à ton image, les saints et les disciples, les géants de la foi, les martyrs, les élus, les patriarches, les prophètes et les témoins, les docteurs, les apôtres, tous les guides spirituels, les orateurs sacrés et les fameux cent quarante-quatre mille, tous ceux qui auront lutté, peiné, œuvré, témoigné, parlé, guéri, conduit, souffert, qui auront attendu la mort comme une délivrance, tous ceux qui auront fait avancer le royaume à grands pas : tu les verras là, devant la porte ouverte, leurs couronnes prêtes (qui sait ? peut-être se seront-ils entre eux distribué des tours de rôle ?), alors tu te tiendras prêt. Car je veux que toi, avec ta vie de crimes, je te prenne par la main et te conduise à la première place qu'ils auront tous enviée. » Sache donc qu'à personne, il ne sera jamais rien offert plus qu'à toi maintenant. »Au moment où ils entreront dans mon royaume, je veux savoir s'ils peuvent en comprendre encore la dernière leçon.» Norbert HUGEDÉ Aux éditions Labor et Fides : COMMENTAIRE DE L'ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS de Norbert Hugedé L'auteur, déjà connu par ses recherches sur les épîtres aux Corinthiens et aux Colossiens, se livre à une analyse détaillée qui s'appuie sur les méthodes rigoureuses de la philologie. Un ouvrage de référence pour tous ceux qu'intéresse la science exégétique ! 21 Si les femmes sont peu souvent présentées dans la Bible, leur influence n'en est pas moins prépondérante. Il fallait toute la sensibilité féminine pour mieux nous faire comprendre un comportement généralement interprété par les hommes. Son nom sera Sara. Genèse 17:15. Au sortir d'Egypte, Abram et Saraï se sont séparés de Lot qui désire habiter avec les coupables de ce monde (/es habitants de Sodome étaient devant le Seigneur des hommes perdus de vices, et leur corruption était montée à son comble). Saraï aimait la nature et préférait les espaces merveilleux qu'elle découvrait à l'entrée de sa tente, près des chênes de Mamré où ils étaient revenus s'installer. Elle aimait la pureté des plaines élevées et une vie simple. Certes, ils étaient riches, ils avaient des troupeaux, de l'argent, de l'or, mais ils vivaient comme des nomades dans le pays de Canaan où l'entourage était plus puissant en nombre, en culture, en civilisation. Mais Saraï ne se laissait pas éblouir par les splendeurs trompeuses de Sodome. Saraï cependant n'était pas parfaitement heureuse. Après le départ de Lot, le Seigneur avait renouvelé à Abram sa promesse. Et elle se demandait quelle serait cette descendance 22 bénie en Abram, et elle ressentait plus douloureusement encore sa stérilité. Un jour, l'orage de la violence humaine monta jusqu'à elle quand ils apprirent le malheur de la captivité de Lot. Sans hésiter, Abram quitta Saraï pour tenter de délivrer son neveu. Après avoir combattu victorieusement, il agit en toute justice puisqu'il refusa de tirer un avantage personnel de la situation. L'Eternel lui apparut une troisième fois en vision : Je suis ton protecteur, ta récompense sera très grande. Genèse 15 : 1. Quelle pouvait bien être cette récompense puisque, pensait Abram, aucun homme ne peut y prétendre s'il ne laisse un fils en ce monde. Devait-il adopter son serviteur Eliezer ? C'est celui qui sortira de tes entrailles qui sera ton héritier. Genèse 15:4. Paroles sans équivoques... aussi Saraï était de plus en plus inquiète. Elle savait que pour jouir de l'héritage de Dieu et pour s'unir à lui sans en être jamais séparé il faut avoir des fils car la récompense du père est proportionnée à la conduite que ceux-ci mèneront en ce bas monde. Alors Saraï crut devoir se sacrifier par amour pour son mari. Elle pensa à sa servante Agar : Voici /'Eternel m'a rendue stérile, dit-elle à Abram. Viens, je te prie, vers ma servante, peut-être au rai-je par elle des enfants. Genèse 16 : 2. La coutume du pays l'autorisait à cela, et elle espérait ainsi un enfant qu'elle élèverait selon les divins principes que l'Eternel lui avait révélés. C'était un calcul héroïque et qui demandait une grande abnégation, mais c'était un calcul inhumain qui faisait d'Agar, ('Egyptienne, un objet dont on se sert sans tenir compte de sa sensibilité, ni de son instinct maternel. C'est la grande erreur commise par Saraï. Dieu entend En effet, dès qu'elle devint enceinte, Agar en conçut de l'orgueil. Elle avait appris qu'un peuple extraordinaire devait descendre d'Abram et elle espérait bien en être l'origine. Aussi, au lieu de rester l'humble servante qu'elle avait été, elle prit de l'assurance et regarda sa maîtresse avec mépris (Genèse 16 : 4). Cet outrage blessa Saraï au plus vif de sa sensibilité féminine. Elle comprit alors que rien n'était plus sacré que l'unité du couple et qu'il fallait y remédier au plus tôt, quitte à maltraiter Agar. Et c'est ce qu'elle fit. Cette dernière dut s'enfuir dans le désert où l'ange de l'Eternel la ramena vers une attitude plus réservée : Retourne vers ta maison et humilie-toi sous sa main. Genèse 16 : 9. Quant à l'enfant qu'elle portait en son sein, il s'appellerait Ismaël, c'est-à-dire : Dieu entend. Abram était âgé de quatre-vingt-six ans et Saraï de soixante-seize quand Agar enfanta Ismaël. Treize ans plus tard l'Eternel s'adressa à nouveau à Abraham : Vous vous circoncirez et ce sera un signe d'alliance entre moi et vous. Genèse 17 : 11. La circoncision est le symbole du retranchement de la partie des démons qui adhèrent à l'homme. L'homme ainsi libéré atteint son véritable Moi : On ne t'appellera plus Abram mais Abraham (Genèse 17:5), c'est-à-dire : chef de toute la terre. Quant à Saraï : son nom sera Sara (Genèse 17:15), c'est-à-dire : princesse sur tout le monde... et elle t'enfantera un fils (Genèse 18 : 10). ... Abraham tomba sur sa face ; H rit et dit en son cœur : naîtrait-il un fils à un homme de cent ans et Sara, âgée de quatre-vingt-dix ans, enfanterait-elle ? Genèse 17:17. Quelques jours plus tard une aventure aussi poétique que déroutante s'inscrivit dans l'histoire des hommes au milieu des gestes les plus simples et les plus ordinaires. Sara vaquait, comme d'habitude, à ses occupations sous la tente, tandis que, non loin, Abraham, endolori par sa récente circoncision se reposait sous les chênes dont le pouvoir apaisant est bien connu. C'est, en effet, un arbre qui capte les ondes bienfaisantes de la terre. Soudain Sara eut le sentiment d'une présence insolite. Elle regarda discrètement au dehors et vit son époux courir vers trois étrangers à la noble stature et se prosterner devant eux. Le cœur de Sara se serra dans l'attente d'un événement extraordinaire. Cependant, quand les devoirs d'hospitalité l'exigeaient, elle n'était pas femme à rester inactive, et elle avait déjà les mains dans la fleur de farine pour confectionner des galet tes quand Abraham essoufflé fit irruption dans la tente. Et vite, elle s'affairait, tandis qu'Abraham se hâtait vers le troupeau pour y choisir le veau le plus tendre. Le temps de le faire apprêter et de courir à la bergerie chercher de la crème et du lait, le repas fut prêt et l'on installa les hôtes sous les arbres. Les créatures célestes qui s'étaient revêtues d'une enveloppe matérielle pour apparaître aux yeux des hommes nous ont alors donné une leçon de bienséance. Ils ont fait honneur à l'hospitalité d'Abraham avant de lui communiquer la bonne nouvelle, afin qu'il n'ait pas paru les inviter uniquement pour cela. L'école de la foi Cependant, sous la tente, Sara, le cœur battant, écoutait de toute son attention : Je reviendrai vers toi à cette même époque, et voici, Sara, ta femme aura un fils. Genèse 18:10. Elle ... un fils ? Un fils à elle ? Le fils de la promesse ? ... Mais elle ne pouvait plus avoir d'enfant puiqu'elle avait passé l'âge des menstrues ! Sara, au comble de l'émotion et de l'étonnement, sans savoir pourquoi, se mit à rire, à rire de joie. Mais Celui qui sonde les reins et les cœurs et à qui rien n'échappe dit à Abraham : Pourquoi donc Sara a-t-elle ri ? ... Y a-t-il rien qui soit étonnant de la part de /'Eternel ? Et Sara, de se voir ainsi découverte, eut peur et elle mentit en disant : Je n'ai pas ri ! Mais H dit : au contraire, tu as ri ! Genèse 18 : 13-15. Or l'Eternel avait déjà révélé le nom de l'enfant : Isaac, ce qui signifie «rire» ou «joie». Isaac : le fils de la joie ! Sara avait quatre-vingt-dix ans et elle se disait vieille parce qu'elle avait passé l'âge de la ménopause. Mais la joie qui l'animait augmentait son charme, témoin l'aventure où Abimélec la convoita et où l'Eternel la protégea. C'est donc au moment où elle ne pouvait plus espérer d'enfant que Dieu transforma sa stérilité en fécondité. L'allégresse et la reconnaissance faisaient tressaillir Sara : Qui eût dit que Sara allaiterait des enfants ? Dieu m'a donné une félicité et quiconque l'apprendra me félicitera ! 23 Cependant des nuages s'amoncelaient dans la sérénité des jours bénis. Un jour, elle vit le fils d'Agar /'Egyptienne se livrer à des railleries. Une nouvelle Eve Pourquoi Sara ne vit-elle en Ismaël que le fils d'Agar ? On peut penser qu'lsmaël et Agar, déçus par la naissance du fils de la promesse s'étaient éloignés du culte du vrai Dieu et qu'lsmaël, entraîné par Agar, rendait un culte aux corps célestes. Et Sara sentait intuitivement que sa présence représentait un réel danger pour Isaac parce qu'il s'écartait des principes chers à Abraham et ne se comportait plus comme son fils. Persuadée qu'il exercerait une mauvaise influence sur Isaac, elle s'enhardit jusqu'à prononcer ces paroles Chasse cette servante avec son fils, car le fils de cette servante ne sera point héritier avec mon fils Isaac. Genèse 21 : 10. Mais Abraham en fut peiné, d'autant plus que la loi du pays donnait tort à Sara. Cependant l'Eternel appuya la requête de Sara : Fais tout ce qu'elle te dira parce que c'est d'Isaac que sortira la race qui doit porter ton nom. Cela démontre que Sara n'a pas pris de décision sous l'empire de la jalousie. Dieu approuva ses paroles parce qu'elle s'était rendue maîtresse de ses passions et savait prendre ses responsabilités avec lucidité. Alors Agar s'en alla... et Dieu consola Abraham : Le fils de cette esclave aussi, je le ferai devenir une nation, parce qu'il est ta progéniture. Genèse 21 : 11, 12. Quant à Isaac, dont la vie serait consacrée à Dieu, il lui fallait une mère parfaite dans un milieu parfait. Il fallait que Saraï ait passé à travers certaines expériences, il fallait surtout qu'elle soit devenue : Sara. A l'apogée de sa vocation féminine, elle était pleinement consciente du rôle qu'elle avait à assumer et savait que, chez un enfant, les années primordiales ce sont les toutes premières car elles le marquent d'une manière indélébile. Elle a donc mis Isaac à l'abri de toute mauvaise influence afin de remplir son cœur et son âme de la connaissance de l'Eternel. L'Esprit, à travers Sara, labourait le champ, c'est-à-dire : la conscience d'Isaac. Or, il y a deux sortes de champs, l'un rempli de toutes sortes d'ordures, de désolation et de cadavres, c'est celui de ('Adversaire, tandis que l'autre engendre les bénédictions : L'odeur qui sort de mon fils est semblable à celle d'un champ que le Seigneur a béni. Genèse 27 : 27. La responsabilité de Sara était grande et il lui fallait être vigilante afin que la semence divine trouve le maximum d'efficacité en tombant dans le terrain de la conscience d'Isaac, d'où sa sévérité exigeante à l'égard de l'Egyptienne. En effet, Abraham avait engagé sa postérité dans une Alliance avec l'Eternel. Il était donc nécessaire d'amoindrir la force de ('Adversaire car, lorsque celui-ci prévaut, le monde est à nouveau plongé dans les ténèbres et la malédiction. De ce point de vue on peut dire que Sara est une nouvelle Eve, bien que par une démarche diamétralement opposée, Eve, après sa venue au monde, s'est attachée à ('Adversaire qui lui a injecté une souillure qui a causé la mort de tout le monde. Sara, au contraire, bien qu'elle fût descendue, comme tout être terrestre, au degré inférieur de la matière a pu remonter la pente sans s'attacher au serpent. Elle était, en effet, revenue d'Egypte, du monde de la tentation, sans rien perdre de son intégrité. Taillée dans le roc Sara est la femme par excellence : Ton épouse sera comme une vigne fertile appuyée sur le mur de la maison. Psaume 128 : 3. Lorsqu'une femme est pieuse, c'est-à-dire se ressource auprès de Celui qui nous donne la vie et lorsqu'elle ne s'agite pas au dehors, elle est digne d'avoir des enfants d'une bonne conduite : Tes enfants seront autour de la table comme de jeunes oliviers. Psaume 128 : 3. Les enfants, comme les feuilles de l'olivier ne se «faneront» pas. Or, si la Sagesse, comme une femme fidèle, était restée dans le temple de Jérusalem, ses enfants seraient encore autour de la table, Israël n'aurait pas quitté la Palestine. Le diaspore existe parce que tu n'as point servi le Seigneur ton Dieu avec la reconnaissance et la joie du cœur. Deutéronome 28 : 47. Mais Sara apprenait à Isaac à servir son Dieu avec la reconnaissance et la joie du cœur, c'est pourquoi elle et Abraham ont été jugés capables d'engendrer cette race élue, ce sacerdoce royal, cette nation sainte, ce peuple acquis (1 Pierre 2 : 17). Rappelez dans votre esprit cette roche d'où vous avez été taillés et cette carrière profonde d'où vous avez été tirés, portez les regards sur Abraham votre père et sur Sara qui vous a enfantés. Esaïe 51 : 1, 2. Sara vécut trente-sept ans entre Abraham et son fils Isaac et sa vie alors prit tout son sens. Puis elle mourut à Hébron à l'âge de cent-vingt-sept ans. Abraham vint pour mener le deuil et pour la pleurer. Genèse 23 : 2. D'où venait-il ? Sans nul doute, dit un commentateur, du mont Morija sur lequel il avait lié Isaac pour le sacrifier, ainsi qu'il en avait reçu l'ordre. Or, quelque temps avant cet événement, Isaac avait ressenti douloureusement la pointe empoisonnée d'un sarcasme d'Ismaël. Ce dernier s'était vanté d'avoir plus souffert pour Dieu qu'lsaac puisqu'il avait été circoncis en même temps qu'Abraham, c'est-à-dire à l'âge de 13 ans, tandis qu'lsaac l'avait été dans l'inconscience de ses huit premiers jours (Genèse 17 : 12). Et Isaac se tourmentait car il sentait confusément que lui aussi devait souffrir pour l'Eternel. Quand son père Abraham partit avec lui sur le mont Morija, il n'était plus un enfant. Il avait trente-sept ans et toute la force de la jeunesse. Il n'aurait eu aucune peine à maîtriser le geste de son vieux père. Mais il était un homme de Dieu, un homme capable d'accepter librement un sacrifice, fut-il le plus grand. Telle fut l'œuvre de Sara qui éleva son fils au degré le plus haut de la sanctification, c'est-à-dire, jusqu'au don de soi. Mais elle en mourut... Françoise JURET 24 Photo R. Viollet J'ai choisi la justice pour rester fidèle à la terre. Il n'y a pas d'ordre sans justice. La justice est à la fois une idée et une chaleur de l'âme. Albert Camus Albert Camus passe pour un athée, un agnostique, un incroyant et même pour un chrétien qui ne sait pas se reconnaître. Chaque camp s'empresse de récupérer cet être prestigieux, admiré de la jeunesse contemporaine, et de le ranger parmi ses partisans. Camus lui-même a toujours refusé toute étiquette simpliste. Mais, à force de s'en défendre, il a fini par être perpétuellement hanté par la crainte du jugement hâtif ou de l'emprisonnement dans une catégorie rigide. La clarté et la simplicité de son œuvre ne sont qu'apparentes, perfides pour ainsi dire. C'est par le biais de cette perfidie souterraine que Camus se dérobe à ceux qui le cernent, ne laissant à ses juges, à ses adorateurs ou à ses critiques, qu'un masque ricanant, une simple défroque. Son attitude envers la loi morale dont la religion établie paraissait à ses yeux le dépositaire, ne fait pas exception à cette règle. Toute sa vie il a entretenu des rapports avec les croyants. Même ses amis intimes ne parvenaient pas à préciser la nature exacte de ces rapports. Ils parlent des sorties de Camus dans le camp des chrétiens, et de ses rentrées, étrangement déçu pour n'avoir ressenti parmi eux que la confirmation de ce qu'il pensait déjà. Mais, interrogé à brûle-pourpoint au sujet de son christianisme, Camus a répondu qu'il se considérait chrétien par osmose mais non par nature. Toute la vision camusienne de la loi morale chrétienne est dans cette réponse. Un des thèmes persistants de l'œuvre camusienne est celui de l'homme naturel. Cette créature bonne, insouciante, heureuse et libre se prélasse sur les plages algériennes des premières œuvres de Camus. Il s'agit de l'homme «innocent», qui, n'ayant aucune conscience du mal, ne connaît pas la culpabilité. Camus rejoint l'apôtre Paul sur ce point ; le péché vient par la loi. L'homme camusien aspire à un état édénique antérieur à la culpabilité qui surgit du jugement porté par la loi morale. Il estime que son innocence lui a été volée par ce jugement extérieur, défavorable, et qu'il ne réussit plus à oublier. Grâce à l'osmose insidieuse de la loi morale, l'inconscience et l'innocence naturelles ont été souillées et irrémédiablement perdues. Nous touchons ici à un des ressorts principaux de la révolte camusienne. L'expérience centrale d'où jaillit toute la création de Camus est celle d'une perte, la perte de l'innocence. Cette perte, ressentie comme injuste et cruelle, se transmue en défi, en justification indignée et en rejet total de la loi morale devant laquelle l'homme est toujours coupable. Précisons l'attitude camusienne envers la loi morale telle qu'elle est enseignée par la religion établie. Le héros de «L'Etranger», Meursault, petit fonctionnaire banal, tue un arabe et se voit infliger la peine de mort. Peu avant son exécution, il reçoit la visite d'un aumônier. Meursault déclare ne pas croire en Dieu. Le prêtre répond qu'on «se croyait sûr, quelquefois, et, en réalité, on ne l'était pas». Et il continue, nous dit Meursault, en demandant : « ... si je ne parlais pas ainsi par excès de désespoir. » Nous voyons se dessiner le refus du prêtre de croire à la vérité de ce que prétend Meursault, et son effort pour mettre Meursault, un individu 25 unique et différent des autres, dans le même panier que les autres. D'ailleurs, le prêtre le dit : «Tous ceux que j'ai connus dans votre cas se retournaient vers lui (Dieu).» La religion établie, prétend Camus, est le mépris de l'individu qui n'est plus lui-même, mais simplement un pécheur comme les autres. Le but de ce nivellement est d'obliger l'homme à reconnaître sa culpabilité, son péché. « Il me disait... que... je portais le poids d'un péché dont il fallait me débarrasser... Je lui ai dit que je ne savais pas ce qu'était un péché. On m'avait seulement appris que j'étais un coupable.» Non seulement ils méprisent la particularité de l'individu, mais les partisans de la loi morale révélée veulent le forcer à endosser le fardeau du péché ! Pour prendre l'homme naturel et bon dans ses filets, le représentant de la loi morale révélée se livre à des jeux ; le regard « droit dans les yeux », des changements rapides de voix et de position, et surtout, la fausse fraternité. Le prêtre appelle Meursault «mon ami» et «mon fils». Il s'empare d'une intimité artificielle d'où le héros l'exclut avec colère : «Il n'était pas mon père : il était avec les autres.» La religion établie porte un masque de fraternité pour désarmer l'innocent afin de mieux l'accabler par la suite. Le réquisitoire camusien contre la loi morale révélée se poursuit. Une série de remarques complaisantes signale le retour du raidissement de la certitude chez le prêtre : «Vous vous trompez, mon fils. ... Je ne peux pas vous croire. ... Vous avez un cœur aveugle, etc.» La religion établie se replie sur elle-même dès qu'elle rencontre quelque chose qui la dépasse. Son jugement est irréversible car il se durcit face à la seule évidence qui pourrait le contester. Ceux qui acceptent la loi révélée se groupent dans les églises. Aux yeux de Camus ils représentent un bloc dont l'activité principale est le jugement des autres. Camus, les accuse à son tour de mépriser l'individu, de culpabiliser les innocents, de se renfermer dans la complaisance et de violer le don libre de la fraternité par une familiarité artificielle. Mais l'homme naturel, vivrait-il alors complètement libre de toute loi morale ? Non, Camus préconise une morale, une morale humaine : « On a sa morale et bien particulière. On ne „manque" pas à sa mère. On fait respecter sa femme dans la rue. On a des égards pour la femme enceinte. On ne tombe pas à deux sur un adversaire, parce que „ça fait vilain". Pour qui n'observe pas ces commandements élémentaires, „il n'est pas un homme", et l'affaire est réglée. Ceci me paraît juste et fort. Nous sommes encore beaucoup à observer inconsciemment ce code de la rue, le seul désintéressé que je connaisse. » Cette morale n'est pas ressentie comme extérieure à l'homme, ni comme révélée à sa conscience. D'où vient-elle alors ? Il faut croire qu'elle vient de la nature humaine puisqu'elle est observée «inconsciemment», c'est-à-dire instinctivement, naturellement. Elle témoigne de la bonté naturelle de l'homme. Elle est l'expression spontanée de sa nature véritable. Mais cette morale humaine, est-elle essentiellement différente de la morale révélée en ce qui concerne son fonctionnement ? Non. L'homme naturel n'a fait que changer de camp. Il se sentait jugé par l'autre selon la loi révélée. Il riposte en jugeant lui-même l'autre selon la loi humaine. Précisons ce mouvement inconscient qui fait tomber Camus dans le même piège qu'il dénonce chez les partisans de la loi révélée. Qui n'aurait pas remarqué que la loi humaine juge impitoyablement celui qui ne l'observe pas («il n'est pas un homme») ? Et que son jugement est catégorique et irréversible («l'affaire est réglée») ? Elle ne semble pas se soucier de la particularité de l'individu, des circonstances atténuantes, etc. Bref, elle exprime le même jugement global, lapidaire et immuable que la moralité révélée, la même condamnation de ceux qui ne l'observent pas. Pourquoi alors Camus la trouve-t-il acceptable ? Parce qu'il l'a choisie lui-même. Il consent à cette loi parce qu'elle ne le condamne pas. Pourquoi ne le condamne-t-elle pas ? Parce que l'homme devient son propre juge, selon sa propre loi, et ne risque pas de porter un jugement défavorable sur sa propre personne. De jugé, Camus est devenu juge sans le savoir. Mais le soupçon de l'indignité humaine persiste. L'homme naturel se sent bon et la loi révélée lui apprend qu'il est mauvais. Voilà l'origine du dualisme qui éclate dans la notion de Camus d'être chrétien par osmose (il est méchant, un pécheur), mais non par nature (il se sent bon et innocent). Ce malaise est à l'origine de la division irrémédiable du moi chez Camus. Beaucoup de chrétiens sont tentés de se dérober à la loi révélée par Dieu pour en rechercher une autre qui semble plus adaptée au cas particulier de chacun. Toute la première partie de l'œuvre de Camus pourrait se concevoir comme une justification de l'homme par l'homme devant le Dieu-juge de la loi révélée. Mais la loi révélée est essentiellement une loi de libération car elle apprend à l'homme ce qu'il est réellement par rapport à une certitude inébranlable; la sainteté de Dieu qu'il accepte par la foi. Ainsi la loi libère l'homme de toute justification mensongère en lui apprenant la vérité de sa nature ; elle est pécheresse. Mais une conscience nette de cette vérité est le sine qua non d'une réelle croissance spirituelle. Pour le chrétien repentant, le jugement de la loi est la première étape dans la renaissance de l'homme si ardemment désirée par Dieu. (A suivre) Lorraine HOLMSHAW 26 La première mission apostolique de l'Eglise d'Antioche commença par l'évangélisation de l'île de Chypre. Barnabas en était originaire. Accompagné de Paul, il quitta donc Antioche, s'embarqua avec lui au port de Séleucie, pour arriver en vue d'une grande cité gréco-romaine, à l'extrémité orientale de l'île, Sala-mine (13 : 5).* Fidèle à une méthode dont il ne s'écartera plus par la suite, Paul semble s'être d'abord adressé aux Juifs dans la synagogue. A l'autre extrémité de l'île, à Paphos (13 : 6), Paul rencontra le gouverneur Sergius Paulus, qui se convertit à l'Evangile (13 : 12). C'est la première fois que le christianisme pénétrait dans la haute aristocratie romaine. Quittant Chypre par bateau pour l'Asie Mineure (13 : 13), Paul et ses compagnons atteignirent le port d'Attalia, d'où ils se dirigèrent vers Si l'on me demandait quel me paraît être, entre tous les hommes, le plus grand bienfaiteur de notre espèce, je nommerais sans hésitation l'apôtre Paul. Son nom est pour moi le type de l'action humaine la plus étendue et la plus utile dont l'histoire ait gardé le souvenir. Adolphe Monod * Les références de cet article sont tirées du livre des «Actes des Apôtres». Perge, située à quelques heures plus au nord. Au-delà de Perge se profilent des montagnes où vivaient au temps de Paul des populations à demi-sauvages. La perspective d'y pénétrer saisit d'effroi le jeune Jean-Marc (13 : 14) qui préféra revenir en arrière et retourner à Jérusalem. Il ne devait plus faire partie du groupe des apôtres lors du deuxième voyage missionnaire. C'est sans doute en traversant l'Anti-Taurus, chaîne de montagnes du sud de l'Asie Mineure, que l'apôtre commença à expérimenter les périls de la route auxquels il fait allusion dans ses épîtres : Danger sur les fleuves, danger au milieu des brigands, fatigue, faim, soif. 2 Corinthiens 11 : 26. Dans cette région, Paul et Barnabas évangélisèrent Antioche de Pisidie, Icône, Lystre et Derbe, où ils annoncèrent l'Evangile dans le 27 quartier juif (13 : 15). Devant l'hostilité des Juifs (13 : 45, 46), Paul décida de s'adresser aux païens qui se montrèrent, en effet, plus dociles que les Juifs, et dont un bon nombre se convertirent à l'Evangile (13 : 48). Plutôt que de revenir à Tarse en franchissant les gorges du Taurus, Paul préféra refaire en sens inverse le chemin déjà parcouru afin de consolider les nouvelles communautés en procédant à la nomination de responsables spirituels que l'on appela dès lors les «anciens» (14 : 23). Après quatre ans d'absence, il revint à Perge, puis à Attalia, et s'embarqua pour Antioche de Syrie (14 : 25, 26). Passablement affolés d'entendre dire que l'Evangile avait été prêché aux païens, les chrétiens de Jérusalem demandèrent des comptes aux apôtres qu'ils convoquèrent. Le premier colloque de l'Eglise de Jérusalem se lira avec profit (Actes 15 : 1-29). Un trouble nécessaire Le second voyage missionnaire de Paul se situe vraisemblablement entre les années 50 et 52. Après avoir quitté Antioche de Syrie, Paul, accompagné maintenant de Silas, revit avec joie les églises de Syrie et de Cilicie, les fortifiant et les encourageant, et arriva sur le théâtre de sa précédente mission. Ces églises étaient situées sur les hauts plateaux qui s'élèvent souvent à plus de 1 000 m d'altitude, dans la province de Gala-tie. Il y a donc lieu de penser que c'est à elles que Paul adressa l'épître aux Galates. Ces chrétiens qui avaient reçu avec empressement l'Evangile furent troublés par la venue de faux missionnaires qui voulaient leur imposer une pratique intégrale du judaïsme (15 : 1). Dans l'épître aux Galates (2 : 1, 21 ; 5 : 1, 26), Paul tient au contraire à proclamer la «liberté» du chrétien par rapport à la loi. Pendant ce temps, Barnabas et Jean-Marc retournaient à Chypre. Mais comme Paul et Silas avaient besoin d'un compagnon pour remplacer Jean-Marc, ils firent choix d'un jeune homme de Derbe, où ils étaient retournés, dont tous les frères de la région rendaient un bon témoignage, Timothée. Renonçant à retourner en Asie et en Bithynie, les apôtres se dirigèrent vers Troas, qui n'est autre que l'antique ville de Troie. A Alexandrie de Troas, Paul eut, pendant la nuit, la vision d'un Macédonien qui le suppliait de venir évangéliser l'Europe : Passe en Macédoine, et secours-nous ! (16 : 9). Paul s'embarqua à Alexandrie de Troas avec trois compagnons : Silas, Timothée et Luc. A bord d'un petit bateau de cabotage, Paul franchit en deux jours les quelques 200 km qui séparent Troie de la Macédoine. C'est à Néapolis que l'apôtre mit le pied en Europe. Philippes est la première ville d'Europe où Paul annonça l'Evangile. Il fut bien accueilli par les Juifs, mais les païens l'accusèrent de jeter le trouble parmi eux, et le traînèrent sur la place publique. Dans la campagne environnante se tenaient les assemblées juives où Paul trouvait un auditoire assuré. Parmi les femmes qui venaient à ces réunions, l'une d'elles, Lydie, demanda le baptême pour elle et pour sa famille et pria Paul et ses compagnons de demeurer dans sa villa (16 : 13-15). La communauté de Philippes fut toujours chère à Paul. Sa lettre aux Philippiens le prouve. Ayant rencontré sur le chemin d'une réunion une servante possédée d'un mauvais esprit, l'apôtre la guérit (16 : 16-19), mais ce miracle causa une vive émotion parmi les païens de Philippes. Le livre des Actes (16 : 16-24) raconte en détail comment Paul fut traîné sur le forum en même temps que Silas, comment ils furent tous deux battus de verges, jetés en prison et miraculeusement délivrés. Au Dieu inconnu Quittant Philippes, Paul traversa Amphipolis et Apollonie pour atteindre au bout d'une semaine Thessalonique (17 : 1), aujourd'hui Salonique. Paul y fonda une église florissante (17 : 4), à laquelle il adressa ses deux premières épîtres. Nous savons qu'il fut accueilli à Thessalonique par un Juif du nom de Jason qui paraît avoir eu un atelier de tisserand. C'est en travaillant jour et nuit, pour n'être à charge à aucun de vous, rappellera-t-il plus tard, que nous vous avons prêché l'Evangile de Dieu. 1 Thessaloniciens 2 : 9. Paul se rendit à Bérée pour échapper à un complot tramé contre lui par les Juifs de Thessalonique. A Bérée, il s'adressa d'abord aux Juifs (17 : 10), mais n'en continua pas moins son action apostolique auprès des païens. Mais, dit le texte, quand les Juifs de Thessalonique surent que Paul annonçait aussi à Bérée la parole de Dieu, ils vinrent y agiter la foule. Alors les frères firent aussitôt partir Paul du côté de la mer; Silas et Timothée restèrent à Bérée. Ceux qui accompagnaient Paul le conduisirent jusqu'à Athènes. Puis ils s'en retournèrent, chargés de transmettre à Silas et à Timothée l'ordre de le rejoindre au plus tôt. Comme Paul les attendait à Athènes, H sentait au dedans de lui son esprit s'irriter, à la vue de cette ville pleine d'idoles. Actes 17 : 13-16. C'est ainsi qu'est introduit le séjour de l'apôtre dans la cité des philosophes. Jamais, ni à Philippes ni à Thessalonique, Paul n'avait été saisi à ce point par les splendeurs du monde grec. Nulle part aussi, la puissance du paganisme ne lui avait causé une telle amertume. Il décida d'inaugurer ici une méthode mieux adaptée à ses interlocuteurs païens en essayant de parler leur langue. 28 Paul a voulu se faire grec avec les grecs. Sur un rocher situé au pied de l'Aréopage, le discours que Paul prononça a été gravé sur une plaque de bronze (17 : 22-32). Paul prend pour point de départ de son exposé la découverte d'un autel «au dieu inconnu». Il s'inspire des philosophes grecs, cite les poètes. Il cherche à relier le christianisme aux idées des gens qu'il a croisés à Athènes. Ecouté jusqu'au moment où il parla de la résurrection, Paul fut alors l'objet des moqueries de la part de ces sages qui quittèrent la place. Ce fut pour l'apôtre un sujet de tristesse. L'idolâtrie du monde Saint Paul se dirigea alors vers Corinthe. Il traversait l'Agora lorsque tout à coup des Juifs se précipitèrent sur lui et le traînèrent devant le proconsul Gallion, tandis que les païens se montraient favorables à l'apôtre. Faisant preuve d'une complète indifférence, Gallion libéra l'apôtre qui put poursuivre son ministère avant de retourner à Jérusalem. En 52, Paul part d'Antioche pour son troisième voyage missionnaire. Il est probable qu'il traversa de nouveau Tarse, la Galatie, et Hiérapolis pour se rendre à Ephèse où il eut la joie de retrouver deux anciens auxiliaires de son apostolat à Corinthe, Aquilas et Priscille, qui revenaient par étapes dans la province du Pont, leur pays d'origine (18 : 26). Ce fut dans le théâtre d'Ephèse qui pouvait contenir 25000 personnes, que la foule, ameutée par l'orfèvre Démétrius, se réunit pour protester contre l'influence croissante du christianisme. Le temple d'Artémis ou de Diane, qui passait pour l'une des sept merveilles du monde, avait fait la fortune des orfèvres qui fabriquaient des reproductions en argent du temple ou de la statue de la déesse, et qu'ils vendaient aux pèlerins. On reprochait à saint Paul d'avoir séduit et entraîné derrière lui beaucoup de monde, en prétendant que des dieux faits de main d'homme n'étaient pas des dieux (lire Actes 19 : 23-40). A Ephèse, les pratiques de sorcellerie ou de magie étaient également fort répandues. Saint Paul réussit cependant à faire brûler un nombre considérable de grimoires estimés à 50000 pièces d'argent (19 : 19). C'est à cette époque que l'apôtre écrivit l'épître aux Galates et la première épître aux Corinthiens. De retour à Corinthe, Paul reprend le chemin de la Macédoine d'où il envoie à l'église de Corinthe sa deuxième épître. En 57, Paul revient vers la Judée par Assos. Luc raconte comment, faisant escale à Alexandrie de Troas, Paul ressuscita un jeune homme, Euty-chus, tombé accidentellement d'une fenêtre pendant une réunion nocturne, au cours de laquelle la communauté chrétienne avait pris la sainte Cène (20 : 7). Paul demeura à Alexandrie une semaine. Le moment du départ venu, pour donner quelques heures de plus aux chrétiens dont il ne se séparait qu'à regret, il préféra rejoindre Assos à pied (20 : 13). C'est là qu'il reprit le bateau, en direction de Milet. Aussitôt arrivé, il envoya prévenir de sa présence ses amis d'Ephèse (20 : 17). Quand ils furent auprès de lui, il leur adressa un discours qui résume toute son activité apostolique : J'ai servi le Seigneur en toute humilité. ... Je n'ai rien omis de ce qui pouvait vous être utile (20 : 18-20), adjurant Juifs et Grecs de se convertir à Dieu et de croire en Jésus-Christ. Puis il fit ses adieux avec de sombres pressentiments : Je sais que vous ne reverrez plus mon visage. (20 : 25.) Christ est ma vie Dès son arrivée à Jérusalem, Paul est arrêté à la demande des Juifs et mis en prison à Césarée (21 : 30-33; 22 : 22-29; 23 : 33-35). Dans son désir de porter l'Evangile à Rome même, l'apôtre s'était réclamé du jugement de César. Son titre de citoyen romain lui en donnait le droit, et plus rien ne pouvait l'en détourner (26 : 30-32). En 59, commence le voyage de la captivité par Rhodes, la Crète et Malte. Après être passé entre l'Asie Mineure et l'île de Rhodes, le bateau qui conduisait Paul en Italie se détourna de la route directe vers le Péloponèse et contourna la Crète par le sud (27 : 7). C'est à ce moment que le navire fit naufrage, naufrage raconté en détail par Luc et que l'on a grand intérêt à relire (chapitres 27 et 28). Après avoir hiverné pendant trois mois à Malte, Saint Paul reprit la route de Rome. Le vaisseau passa à Syracuse, traversa le détroit de Messine, puis arriva à Pouzzoles, au nord de l'actuelle ville de Naples. Saint Paul y trouva une communauté chrétienne avec laquelle il entra en rapport, puis reprit la route de Rome, toujours sous escorte militaire. Au forum d'Appius, c'est-à-dire à 65 km de Rome, un groupe de fidèles vint à la rencontre de l'apôtre (28 : 15). Un peu plus loin, aux Trois Tavernes, à 45 km de Rome, une nouvelle délégation l'attendait. Par la voie Appienne, le groupe parvint à la porte Capène, puis au Palatin où se tenait casernée la cohorte de service chargée de garder les prévenus cités au tribunal de César. L'inconsistance des accusations portées contre Paul aboutit à un non lieu. Après avoir passé deux années à Rome dans le logement qu'on lui avait permis de choisir (28 : 30), mais sous une surveillance permanente, l'apôtre fut remis en liberté. C'est au cours de sa résidence forcée à Rome que Paul écrivit les épîtres aux Philippiens, aux Colos-siens, aux Ephésiens et à Philémon. Libéré probablement en 61, saint Paul paraît avoir entrepris une dernière tournée apostolique au cours de laquelle il écrivit sa lettre à Tite, les deux épîtres à Timothée, et peut-être l'épître aux Hébreux. Les épîtres pastorales nous apprennent qu'il passa en Crète où il laissa Tite (Tite 1 : 5), à Ephèse, où il laissa Timothée (1 Timothée 1 : 3), puis en Macédoine. Il convoqua Tite à Nicopolis où il comptait passer l'hiver. Arrêté de nouveau, il aurait été conduit à Ephèse et emmené à Rome en passant par Milet et Corinthe. C'est peut-être sur la route d'Ostie, aux Trois-Fontaines, que se place le martyre de saint Paul, vers l'an 67, à la fin du règne de Néron. Sur l'autel de la Basilique actuelle, élevé sur le prétendu tombeau de Paul, sont gravés ces mots qui résument toute la pensée et la vie de l'apôtre : Christ est ma vie, et la mort m'est un gain. Philippiens 1 : 21. Paul TIËCHE 29 Le royaume des cieux est semblable à du levain qu'une femme a pris et mis dans trois mesures de farine, jusqu'à ce que la pâte soit toute levée. Matthieu 13 : 33 A travers cette scène toute simple d'une femme faisant son pain, Jésus nous a laissé une parabole d'une richesse d'enseignements insondables ; recherchons ensemble ces précieuses vérités. Le levain, n'est-ce pas le symbole du principe de vie qui est en Dieu ? La pâte, n'est-ce pas le monde ? Ne voit-on pas dès la création, l'esprit de Dieu fécondant la matière inerte ? Dieu souffle la vie dans l'argile que nous sommes et nous nous animons. On peut mettre un nom sur ce symbole du levain, celui de Jésus, le verbe de Dieu. En lui était la vie. Jean 1 : 4. Et comme le levain était incorporé dans la pâte, Jésus a incorporé sa divinité dans notre humanité, afin de nous rendre participants de la nature divine. Le verbe s'est fait chair. Sans levain, la pâte ne peut lever. Sans moi, vous ne pouvez RIEN faire. Jean 15:5. Sans ce principe de vie, nous ne pouvons ni nous sauver, ni nous transformer, pas plus que nous ne pouvons vivre, respirer... En lui nous avons la vie, le mouvement et l'être. H faut mêler intimement le levain à la pâte. Il ne se passe rien tant que le levain demeure à côté de la pâte. La cause de notre désespérante stagnation spirituelle n'est-elle pas dans le fait que Jésus vit hors de nous, à côté de nous, tout près de nous peut-être mais pas encore en nous ? Demeurez en moi et je demeurerai en vous. Jean 15:4. Le levain agit de l'intérieur vers l'extérieur. Notre transformation doit commencer par le cœur. « Le plan qui consiste à travailler d'abord à l'extérieur et essayer ensuite d'agir à l'intérieur a toujours échoué et échouera toujours. Le projet de Dieu à notre égard est de commencer au siège même de toutes les difficultés, à savoir le cœur, et ensuite de faire jaillir du cœur des principes de justice ; ainsi la réforme se réalisera à la fois extérieurement et intérieurement. » - (Ellen G.White.) A travailler sur l'extérieur, on ne fait que blanchir des sépulcres... nettoyer les dehors de la coupe et des plats (Matthieu 23 : 25, 27). La levée est lente, progressive, discrète, continue : Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. Les vertus chrétiennes ne surgissent pas dans nos vies instantanément. L'amour, la patience, la tempérance naissent, croissent, mûrissent lentement, comme se développent les plantes. (La sanctification instantanée est, à mon sens, un signe des faux réveils.) « La sanctification n'est pas l'œuvre d'un moment, d'une heure ou d'un jour. C'est une perpétuelle croissance en grâce... Chaque jour il nous faut crier à Dieu pour recevoir la force de résister. Aussi longtemps que Satan règne nous devrons vaincre le moi, surmonter nos inclinations, sans nous arrêter jamais car nous ne pouvons dire à aucun moment que nous avons définitivement atteint le but.» - (Ellen G. White.) Le levain agit dans toute la pâte. Que pourraient signifier ces trois mesures de farine de notre parabole ? N'est-ce qu'un «habillage» sans autre résonance particulière d'une leçon qui est ailleurs ? Personnellement, je ne le pense pas ; et je serais porté à y voir les trois parties constitutives de notre être, devant être touchées et transformées par la puissance de l'Evangile : le corps, l'âme, l'esprit (1 Thessaloniciens 5 : 23). «La véritable éducation... est le développement harmonieux des énergies physiques, mentales, spirituelles.» — Ellen G. White. Education, p. 7. Et quand la pâte devient levain ? ... Peut-on épiloguer ? ... Chacun sait qu'on fait un nouveau levain à partir de la pâte levée. Ainsi, le chrétien pénétré par le Christ, transformé par lui, devient à son tour levain pour ses semblables. Il doit se mêler au monde (je ne te prie pas de les ôter du monde, Jean 17 : 9), agir de l'intérieur vers l'extérieur (non en s'attaquant aux structures de la société à coup de revendications, grèves, manifestations, si justes que soient leurs causes, mais en cherchant à transformer les individus). Il doit en outre attendre avec patience l'action progressive de la grâce dans la vie de ceux auprès desquels il travaille. Enfin il doit répandre la bonne nouvelle de l'Evangile jusqu'aux extrémités de la terre, comme le levain doit pénétrer dans toute la pâte ... alors viendra la fin. Jean-Pierre BARGIBANT Photo Jean Jundt 31 Au début d'une émission des dossiers de l'écran consacrée au problème des transfusions sanguines, Alain Jérôme, le présentateur avait posé au pasteur Philippe Augendre une question sur l'Eglise adventiste qu'il représentait. La confrontation passionnée des participants, les litanies incantatoires de la fille du « Christ de Mont-favet» ne lui permirent pas de répondre. De nombreuses personnes ayant écrit à ce propos, nous avons interviewé notre collègue et ami, rédacteur en chef de la revue « Vie et Santé ». Signes des Temps : Le christianisme au 20e siècle nous offre l'image d'une mosaïque d'églises, de groupements, de sectes, s'inspirant de la Bible pour justifier leurs particularismes. Pourriez-vous nous préciser l'origine et le credo de l'Eglise adventiste ? Philippe Augendre : Bien volontiers, mais je crains qu'une telle information soit un peu superficielle. Je pourrais m'étendre longuement sur l'histoire de ce mouvement religieux, ses origines, son organisation, son credo, son développement dans le monde. Il y aurait là bien des chapitres tour à tour passionnants, émouvants, ou exaltants. Mais cela risquerait de nous entraîner très loin. Aussi - avec votre accord -j'aurais un autre itinéraire à vous proposer. S.D.T. : Existe-t-il plusieurs manières de justifier un engagement religieux ? Ph. A. : Permettez-moi une image, apparente disgression, mais nous reviendrons bien vite à notre sujet. Si vous posez la question : qu'est-ce qu'une rose ? le botaniste vous donnera une réponse scientifique, objective en vous citant le nom de sa famille, le nombre de ses sépales, pétales, étamines, etc. Mais un amoureux de la nature vous répondra probablement : « La rose est la plus belle fleur de mon jardin, celle dont la contemplation et le parfum me procurent la plus profonde joie.» Nous avons là deux types différents de définitions, qui ne sont pas opposées d'ailleurs, mais plutôt complémentaires. La première est dite « en extension», parce qu'on analyse, on mesure, on répertorie. La seconde est dite «en compréhension» parce qu'on pénètre la réalité à définir de l'intérieur, en essayant d'en saisir la valeur véritable, humaine, existentielle, infiniment préférable - à mon sens - à sa valeur «scientifique». C'est une approche «en compréhension» de l'Eglise adventiste, ou plus exactement de l'adventisme que j'aimerais vous donner. S.D.T. : Nous sommes prêts à vous suivre dans la mesure où cette approche éclairera une position originale. Ph. A. : Pour être aussi concis que possible, je me bornerai à trois remarques. Premièrement l'adventisme est une prise au sérieux de Dieu et de sa Parole. S.D.T. : Cette position n'est-elle pas commune à toutes les églises chrétiennes ? Ph. A. : Beaucoup de religions et de croyants se font de Dieu une idée personnelle et limitée, ils échaf-faudent des théories ne reposant bien souvent que sur leur imagination. Les différentes branches du 32 ETRE ADMENTISTE. christianisme prétendent en effet tenir la Bible, les saintes Ecritures, pour « révélation », « parole » de Dieu. Mais là encore règne la plus grande incohérence. On interprète la Bible avec une légèreté invraisemblable, lui faisant dire les choses les plus ahurissantes (nous en avons eu quelques échantillons au cours de l'émission des « Dossiers de l'écran ») aboutissant à une véritable déconsidération de l'idée de Dieu et de la notion même de religion. Or l'adven-tisme me semble une position forte, cohérente avec elle-même, logique, sûre, parce qu'elle prend véritablement au sérieux cette révélation. Notre croyance en Dieu est un élan de foi et de confiance, un don de soi. Mais précisément parce que tout l'être y est impliqué, l'intelligence, la raison, ne sauraient être mises de côté. Le monde qui nous entoure, la conscience de l'homme, l'histoire, la Bible dans sa révélation suprême en Jésus-Christ contient un faisceau de présomptions et de faits qui donnent une très grande certitude quant à l'existence de Dieu et à l'inspiration de sa Parole. Beaucoup de gens nous disent : «Ah ! je voudrais bien avoir la foi !» Mais combien consacrent quelques minutes de temps en temps, à examiner les « preuves» que nous présentons ? Il en est de même pour l'interprétation de la Bible. Il existe dans ce domaine des règles précises constituant d'ailleurs une science, l'herméneutique. On a le droit de faire n'importe quoi à un texte en oubliant le contexte, en négligeant le sens des mots dans l'original, en ne tenant pas compte des autres affirmations parallèles. Enfin, il y a des textes tellement clairs qu'ils ne soulèvent et ne nécessitent aucune discussion. Alors, tout en affirmant croire à l'inspiration divine de la sainte Ecriture, on persiste à faire le contraire en se justifiant par des raisonnements fallacieux. Je prétends que tout cela n'est pas sérieux. S.D.T. : Pourriez-vous illustrer votre propos par quelques exemples précis ? Ph. A. : C'est difficile de faire un choix, les exemples sont nombreux, chacun mériterait un long développement. J'en prendrai au moins un : La loi de Dieu, donnée à l'homme dès les origines du monde, reformulée avec puissance à Moïse au Sinaï (nous trouvons ce texte dans le livre de l'Exode au chapitre 20), confirmée par le Christ : Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir la loi dont il ne disparaîtra pas une seule lettre (je cite de mémoire ce passage de l'évangile selon saint Matthieu chapitre 5). Combien d'églises chrétiennes enseignent-elles cette loi ? On l'a travestie, traduite, trahie ! On a éliminé certains commandements, dédoublé un autre, changé un troisième. De quel droit et au nom de quelle autorité a-t-on, par exemple, transféré le repos divin (le quatrième commandement) du septième jour de la semaine, c'est-à-dire le sabbat ou samedi, jour respecté par tous les prophètes, le Christ et les apôtres, à un jour d'essence païenne, le premier jour de la semaine, jour du soleil (sunday -sonntag), pudiquement rebaptisé dimanche, jour du Seigneur ? On dira que c'est un détail de peu d'importance. Là n'est pas la question. On ne peut nier au mouvement adventiste en ce domaine comme dans les autres, une rigueur, une droiture indiscutable. De même, il semble indiscutable que les autres églises soient à ce sujet d'une légèreté qui voisine avec la plus orgueilleuse des audaces. Cette première approche je la résumerai par une phrase : C'est une attitude de respect, de fidélité et d'obéissance de l'homme reconnaissant la réalité de Dieu et ne s'attribuant pas la prétention de changer sa parole et de l'exploiter selon ses intérêts. C'est une position de Foi. S.D.T. : Il s'agit d'erreurs historiques du christianisme que beaucoup d'églises déplorent aujourd'hui. Pourriez-vous nous dire quelle est la position de l'Eglise adventiste par rapport à l'Histoire ? Ph. A. : C'est justement le thème de ma deuxième remarque. L'adven-tisme n'est pas seulement une prise au sérieux de Dieu et de sa Parole, c'est aussi une prise au sérieux de l'Histoire. Aujourd'hui tout le monde s'interroge sur l'avenir de notre planète. Les politiciens, les économistes, les sociologues, les savants, les médecins et les écologistes sont inquiets. Là encore qu'a-t-on fait du sens biblique de l'Histoire? La reconnaissance par presque tous les hommes du point zéro du calendrier à la venue du Christ devrait nous inviter à la réflexion. Le Christ est « l'Alpha et l'Omega » de toute chose, y compris de l'Histoire. La Bible tout entière tend vers cette révélation du Dieu qui vient. Le Christ lui-même, avant de quitter ses disciples leur a dit : Je vais vous préparer une place, je reviendrai (évangile selon saint Jean, chapitre 14). Si personne ne connaît l'heure de son retour et de la fin du monde, il existe néanmoins tout un calendrier avec des signes précurseurs très précis, toute une chronologie prophétique. Là encore, une étude sérieuse et objective aboutit à des certitudes. L'annonce des «signes des temps» dans la Bible est remarquablement précise et extraordinairement confirmée par les faits contemporains. C'est d'ailleurs le sens du mot « adventisme ». Du mot «advent» signifiant venue. L'adventisme est une longue position d'attente active de préparation et d'espérance constamment présente tout au long des saintes Ecritures, d'Adam à saint Jean, en passant par Enoch, Moïse, les prophètes et les apôtres. L'adventisme n'attend pas un monde meilleur, secrétion des efforts techniques, scientifiques, économiques ou politiques de l'homme. Au contraire, il attend la réalisation - à laquelle nous pouvons tous participer - du «royaume de Dieu», ou si vous préférez des synonymes plus courants, du paradis, de la nouvelle terre. Nous sommes à la veille de la fin du monde, du retour du Christ. Destruction cosmique ou renouvellement de toutes choses ? Désespoir ou espérance, bienheureuse espérance comme l'appelle Tite, l'un des auteurs du Nouveau Testament ? Certainement l'une et l'autre. Dans cette perspective historique, chaque homme est responsable de son propre destin. S.D.T. : Quelle est votre troisième approche ? Ph. A. : Sans être ni plus ni moins importante que les deux premières, c'est peut-être celle qui demanderait, pour en montrer la richesse, le plus d'exemples. L'adventisme est une prise au sérieux de l'homme. 33 Ainsi, au niveau physique, les hommes sont souvent passés d'un extrême à l'autre, faisant tour à tour de leur corps, une prison dont il fallait s'évader ou un dieu à idolâtrer. Dans la première perspective le corps est méprisé, on le fustige, on le punit, on lui refuse ses droits physiologiques les plus élémentaires. Dans le second on en fait un maître : ce sont les cultes du muscle, du sexe, ou de l'estomac. Entre ces deux erreurs, la révélation divine affirme que notre corps est le temple du Saint-Esprit. Un temple à honorer, à entretenir le mieux possible. C'est pourquoi les adventistes insistent avec raison sur la santé, sur l'éducation sanitaire, sur la nécessité d'avoir une hygiène de vie : alimentation saine, refus des drogues (poisons du système nerveux, de la vie intellectuelle et spirituelle). C'est pourquoi ils ont développé dans le monde entier un important réseau d'institutions médicales (dispensaires, cliniques, hôpitaux et même une faculté de médecine). Cette reconnaissance des droits du corps est tellement évidente qu'il apparaît comme un critère de bon sens entre vraie et fausse religion : je me méfie des écoles de pensée ou l'on en arrive à interdire des choses bonnes, saines, naturelles et instituées par Dieu (le mariage par exemple) et où l'on tolère des usages ou des habitudes aussi néfastes que le tabac ou l'alcool. Au niveau spirituel et religieux, ce respect de l'homme se traduit par une redécouverte des doctrines sages et harmonieuses de la révélation divine. S.D.T. : Y a-t-il également une notion de respect de l'homme sur un plan purement spirituel. Ph. A. : Je pourrais parler du baptême, de la conception de l'âme, de l'organisation de l'église... Ainsi le baptême des enfants n'est pas seulement contraire aux enseignements des Ecritures, c'est aussi un abus de pouvoir. Quand on demandait aux apôtres les conditions du baptême, ils répondaient : Si tu crois... Comment un nouveau-né pourrait-il exprimer une conviction et une foi personnelle ? C'est librement dans la connaissance adulte et l'engagement personnellement assumé que l'individu peut adhérer à une religion. Toute autre position est une trahison de la dignité de l'homme. Et l'âme ! que ne faudrait-il pas dire à ce sujet ! Pour la Bible, l'âme c'est l'être tout entier. Elle n'est pas immortelle «naturellement» mais recevra cette immortalité à la résurrection. Sous l'influence égyptienne, puis platonicienne, on en est arrivé à enseigner le contraire. L'âme serait immortelle. A la mort elle s'envolerait vers le paradis — dans ce cas tout va bien - ou vers le purgatoire et l'enfer. Cela signifie que l'homme n'est même pas libre de sa mort. Un homme qui ne veut pas de Dieu, serait contraint par ce Dieu qu'on dit bon à vivre éternellement dans les souffrances de l'enfer, contre son avis, contre son désir peut-être, de disparaître ? C'est proprement scandaleux et immoral. Ce n'est pas seulement une erreur scientifique (car la biologie nous montre qu'il n'y a pas de survie consciente en dehors d'un organisme en bonne santé) c'est une monstruosité morale. Au contraire, l'affirmation chrétienne est apaisante et belle. La mort est effectivement la disparition de l'être, la fin des souffrances, le repos totalement inconscient. Par contre, ceux qui auront désiré la vie éternelle, ceux qui auront fait de cette vie terrestre l'occasion d'un choix - afin que personne dans le paradis ne puisse dire qu'il n'avait pas demandé à y être - ceux qui auront aimé et servi - sans peut-être quelquefois le connaître — ceux-là reçoivent du Christ comme un don la promesse de la résurrection : Je te le dis en vérité aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis... Celui qui croit en moi vivra quand même H serait mort... Je le ressusciterai au dernier jour... Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Il faudrait encore parler du respect de l'homme qui consiste à lui permettre d'être libre - autant que faire se peut - de s'informer, de s'instruire, non seulement pour une vague et infantile première communion, mais tout au long de sa vie d'homme et de femme. Droit de participer à l'organisation, aux décisions, à la gestion morale, administrative, financière de SON église. Dans quelle église élit-on démocratiquement, en assemblée générale, non ses chefs et ses supérieurs hiérarchiques, mais ses «chargés de pouvoir», dans quelle église a-t-on le droit et le devoir de savoir comment est utilisé l'argent recueilli auprès des fidèles ? Ce respect de l'homme, de sa liberté, de sa participation a pour moi un autre nom : celui d'Amour. Vous voyez qu'avec ces trois perspectives : prise au sérieux de Dieu, de l'Histoire, de l'Homme, je retrouve les trois grandes vertus théologiques énoncées par saint Paul : La Foi, l'Espérance et l'Amour. S.D.T. : Mais ainsi défini, en quoi l'adventisme se différencie-t-il du christianisme pur et simple ? Ph. A. : L'adventisme ne se différencie pas du christianisme. Par contre il se différencie de toutes les formes dites chrétiennes, mais qui ne sont que des perversions ou des syncrétismes pagano-chrétiens. S.D.T. : Une dernière question, plus indiscrète. Avez-vous toujours été adventiste ? Ph. A. : Non. Je suis issu de famille catholique. Ma mère est devenue adventiste alors que j'avais 5 ans. Mais c'était juste avant la guerre. A Bressuire, dans les Deux-Sèvres, où j'ai été élevé, il n'y avait pas de communauté adventiste. J'ai donc fréquenté l'église catholique où j'ai eu, et j'ai toujours, de grands amis. J'ai été scout de France. Ma mère m'a enseigné la Bible mais elle m'a toujours laissé libre de mon choix et de mes décisions en ce domaine. A l'adolescence il m'a été donné de comparer les enseignements respectifs de l'une et de l'autre «religion». Il n'y avait pas d'hésitation possible : j'ai opté pour ce que je considère non comme la Vérité — car la Vérité c'est Jésus-Christ - mais pour l'approche humaine qui tend le plus - à ma connaissance - vers cette bonne nouvelle, vers ce message évangélique de l'amour et du salut révélé en Jésus-Christ. Propos recueillis par Jean Lavanchy 34 science roi Dévoiler le vrai, nous ramener au vrai, voilà l'œuvre admirable - et interminable - que Dieu impose à la conscience. Mais prenons-y garde ; une tentation nous guette sur ce terrain biblique où nous allons mettre le pied : la tentation de nous montrer peu consciencieux, soit avec la science, soit avec nous-mêmes. Aucune vérité n'est contre la vérité ! La vérité scientifique peut bien contredire la vérité biblique ; toutes deux se trouveront d'accord au bout du compte. En attendant, la science trop souvent nous traite comme des ennemis, nous le lui rendons bien, et nous avons, pour n'être pas consciencieux envers elle, deux façons d'agir que nous employons tour à tour : fermer les yeux et fermer les oreilles ! déclarer faux tous les faits scientifiques, qui nous semblent renverser la Révélation ! Le serviteur de la vérité repousse absolument de tels moyens. Dès l'instant où nous abritons notre foi derrière notre ignorance, nous cessons de croire en réalité. Ce n'est pas croire, que refuser de voir ce qu'on a devant soi. La vraie foi aime les lumières ; elle ne croit, ni sur la parole d'autrui, ni par habitude, ni par hérédité ; elle croit, parce que, avec tout son être, conscience, cœur et raison, l'homme a reconnu le doigt divin dans la révélation divine. Point de lâchetés, je l'ai déjà dit, point de tours de force. Soyons vrais avec la vérité. Ne donnons pas lieu aux adversaires de se débarrasser d'une foi que n'accompagnerait pas la bonne foi. Nier ce qui est ! dans quel but ? Quel inconvénient y a-t-il à reconnaître les difficultés que présente l'Ecriture ? De quel droit prétendre, par exemple, que tous les problèmes chronologiques sont résolus ? Il y a eu jadis une crédulité soi-disant pieuse qui, au nom de la Bible, contestait la rotation de la terre ; tâchons qu'il n'y ait pas, au nom de la Bible, une crédulité pieuse qui s'obstine à renverser l'évidence. Les faits sont des faits. L'intégrité vis-à-vis des faits est la seule attitude qui convienne aux chrétiens. Ils ne sauraient ni demander aux savants de mal observer, ni se proposer de ne pas admettre ce que les recherches des savants ont acquis. Mais les chrétiens peuvent dire ceci - et le dire en bonne conscience - c'est, d'une part, qu'il arrive à la science de se tromper et que ses théories sont sujettes à révision ; c'est, d'autre part, que l'accord entre les observations de la science et les affirmations de la Bible finira par s'établir. De la science mal faite, de la Bible mal interprétée, cela s'est vu. Ce qu'on ne doit pas voir, c'est une foi religieuse qui, pour se mettre à l'abri de quelque contradiction passagère, donne une entorse à la loyauté. Croyant consciencieusement à l'Ecriture - et en vertu de raisons irréfutables - admettant consciencieusement les faits quels qu'ils soient, nous possédons une sécurité dont ne jouiront jamais ceux qui se font aveugles et sourds, ceux qui recourent aux faux-fuyants, et qui ne s'empêchent pas de penser à ce qu'ils veulent oublier, de savoir ce qu'ils veulent ignorer, de s'inquiéter de ce qu'ils veulent anéantir. On ne supprime aucune vérité ; la conscience l'interdit. Sa manière de rassurer, c'est de nous affirmer que Dieu est le Dieu de vérité, que pas une vérité ne peut s'élever contre une autre vérité, et que, lorsque nous connaîtrons tout, nous concilierons tout : pas avant. Agénor de Gasparin, extrait de « La Conscience», p. 101-105. ei